L'article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés
INTRODUCTION
L’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés est le seul article relatif aux droits linguistiques qui s’applique d’un bout à l’autre du Canada. Il constitue la « clef de voute » de ces droits au pays, dont l’objet est de « maintenir les deux langues officielles du Canada ainsi que les cultures qu’elles représentent et à favoriser l’épanouissement de chacune de ces langues, dans la mesure du possible, dans les provinces où elle n’est pas parlée par la majorité »1. Par conséquent, l’article 23 de la Charte constitue ni plus ni moins un incontournable pour quiconque s’intéresse aux communautés de langues officielles en situation minoritaire et à leur avenir. Vu de cet angle, Michel Doucet allait inévitablement y exercer un rôle tout au long de sa carrière.
Nous avons divisé le présent texte en deux grandes parties. La première porte sur les conférences et les écrits et la deuxième porte sur les avis juridiques et les plaidoiries, témoignant encore une fois, comme d’autres l’ont souligné pendant ce colloque, du caractère polyvalent de la carrière du professeur et de l’avocat Michel Doucet.
A – Les conférences
S’il peut paraître étrange de parler des conférences que donne un professeur de droit, nous sommes d’avis que le nombre et l’auditoire varié justifient qu’on en glisse un mot. Effectivement, si Michel Doucet a donné quelques conférences au sujet de l’article 23 de la Charte et des droits à l’instruction dans la langue de la minorité dans le cadre de colloques2, il en a donné davantage à des auditoires plus variés démographiquement et géographiquement.
Depuis la fin des années 90, Michel a donné de nombreuses conférences au sujet de l’article 23 de la Charte à différents regroupements de conseils scolaires de partout au Canada, en plus d’en donner une, voire deux et même trois par année, aux étudiantes et étudiants de la Faculté d’éducation de l’Université de Moncton3. C’est dire que la sensibilisation à l’objet de l’article 23 des différents acteurs du système d’éducation d’une province ou d’un territoire est une tâche constante et, grâce au dévouement de Michel, certains d’entre eux ont eu la chance d’en prendre connaissance avant même l’arrivée sur le marché du travail !
Parmi les regroupements de conseils scolaires auxquels Michel a donné des conférences, mentionnons la Fédération nationale des conseils scolaires francophones, l’Association des conseils d’éducation publics de l’Ontario, la Fédération des conseillers scolaires francophones du Nouveau-Brunswick, la Fédération des parents francophones de Terre-Neuve et du Labrador et la Commission nationale des parents francophones. Il ne s’est cependant pas limité qu’à ces regroupements, les enseignantes et enseignants du District scolaire 1, la Commission nationale des parents francophones et la Société Saint-Thomas-D’Aquin ont également eu le plaisir de l’entendre à ce sujet.
Dans le cadre de ces conférences, Michel a présenté divers sujets relatifs à l’article 23 de la Charte, dont « La gestion scolaire et le principe de l’égalité des résultats », « La reconnaissance de l’éducation préscolaire sous l’article 23 » et « L’article 23 et le droit des parents », en plus d’informer ces auditoires des nouveautés jurisprudentielles : « La portée de la décision dans l’arrêt Doucet-Boudreau » et « La jurisprudence de l’article 23 et la petite enfance ».
Le nombre de conférences que Michel a données à des conseils scolaires ou autre regroupement similaire au sujet de l’article 23 de la Charte dépasse largement celui des conférences qu’il a données à des colloques. Le lecteur averti aura bien compris que l’éducation des ayants droit – par l’entremise des conseils scolaires – en raison du pouvoir de gestion et de contrôle qu’ils détiennent à l’égard des questions touchant à la langue et la culture est vital au maintien des deux langues officielles en situation minoritaire au Canada et des cultures qu’elles représentent4.
La décision du Conseil d’éducation du district scolaire francophone Sud de fermer l’école de St-Paul en constitue un exemple éloquent5. Malgré les conseils judicieux de Michel6, ce Conseil a appliqué à la lettre la politique 409 du Gouvernement du Nouveau-Brunswick intitulée à l’époque Fermeture des écoles et n’a pas tenu compte de son pouvoir de gestion et de contrôle en ce qui concerne les questions qui touchent à la langue et à la culture d’une communauté de langue officielle en situation minoritaire. Jugeant que l’école n’était pas viable, à la suite de l’application des critères prévus dans ladite politique, le conseil recommandait sa fermeture, mais demandait au ministère de l’Éducation et du Développement de la petite enfance « de s’assurer que la fermeture de l’école St-Paul respecte l’article 23 de la Charte »7. Le ministre a quant à lui annoncé la fermeture de l’école8.
L’abdication de leur pouvoir et de leur rôle de protecteur de la langue et de la culture dans ce dossier a, d’abord, donné lieu à une saga judiciaire relative à des questions procédurales9, pour ensuite aboutir à une décision, en révision judiciaire, le 18 mai 2018 invalidant la décision du ministre de fermer l’école de St-Paul10. Mené par le comité de sauvegarde de l’école St-Paul, les démarches ont pour but de maintenir l’école ouverte, laquelle est fermée depuis la fin de l’année scolaire 2016.
Ces conférences illustrent à merveille le dévouement qu’a Michel à l’égard des droits linguistiques et des communautés de langue officielle vivant en situation minoritaire et de l’importance d’informer les ayants droit, qu’ils soient des parents ou des membres des conseils scolaires ainsi que des divers regroupements de conseils scolaires.
B – Les écrits
Ses écrits au sujet de l’article 23 de la Charte sont relativement nombreux et diversifiés. Ses trois plus grandes contributions en la matière sont vraisemblablement le chapitre intitulé « Les droits à l’instruction en français », publié dans son plus récent ouvrage Les droits linguistiques au Nouveau-Brunswick – À la recherche de l’égalité réelle !11, le chapitre intitulé « L’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés », publié dans la cinquième édition de l’ouvrage collectif bilingue The Canadian Charter of Rights and Freedoms/Charte canadienne des droit et libertés12 et l’article intitulé « L’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés », publié dans la Supreme Court Law Review13, que la Cour suprême du Canada a notamment cité dans l’arrêt Association des parents de l’école Rose?des?vents c. Colombie?Britannique (Éducation)14.
Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada mentionnait notamment qu’il y avait, au Canada, une tradition voulant que « les représentants de l’État prennent au sérieux les jugements déclaratoires fondés sur la Charte »15 et que, par conséquent, lorsque la Cour émet un jugement déclaratoire, elle « tient pour acquis que le gouvernement en question se conformera rapidement et entièrement au jugement rendu »16. Un point de vue qu’énonçait clairement Michel dans l’article en question :
Michel cite ensuite un extrait de l’arrêt Vriend c. Alberta où la Cour suprême du Canada mentionne notamment qu’il « incombe plutôt aux tribunaux de faire respecter la Constitution […]. Toutefois, il est tout aussi important, pour les tribunaux, de respecter eux-mêmes les fonctions du pouvoir législatif et de l’exécutif que de veiller au respect, par ces pouvoirs, de leur rôle respectif et de celui des tribunaux »17. La Cour tenait ses propos alors qu’elle se prononçait au sujet de la relation entre le législateur et les tribunaux sous le régime de la Charte, ce qui l’a amené également à parler d’un dialogue entre les tribunaux et le gouvernement dans la mesure où le gouvernement apporte les modifications nécessaires aux lois à la suite des jugements que rendent les tribunaux. La Cour se prononçait par le fait même en faveur du jugement déclaratoire étant donné le respect qu’a le gouvernement envers ce dernier. Des propos qui ont également trouvé écho, nous dit Michel, dans l’arrêtRJR-Macdonald Inc. c. Canada (Procureur général)18 et dans l’arrêtDoucet-Boudreau19.
Au sujet des jugements déclaratoires, Michel concluait ainsi :
L’état du droit en matière des jugements déclaratoires au sujet de l’article 23 de la Charte y étant clairement énoncé, la Cour suprême du Canada pouvait facilement s’y appuyer pour conclure qu’il s’agit « d’ailleurs [d’]une des raisons pour lesquelles les tribunaux choisissent souvent de rendre des jugements déclaratoires dans le contexte de l’art. 23 »21.
Michel publiera également un article dans la Revue de la common law en français, revue de sa Faculté de droit à laquelle il a d’ailleurs beaucoup contribué au fil dans ans22, au sujet de l’arrêtDoucet-Boudreau dont il sera davantage question ci-dessous23.
Michel publiera également deux textes importants au sujet de l’article 23 sur le Blogue sur les droits linguistiques intitulé « Qui possède la qualité pour agir en vertu de l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés ? » et « L’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés et l’admission des non-ayants droit à l’école francophone »24. Le Blogue permet de réagir rapidement à des sujets d’actualités et d’en assurer l’accessibilité à long terme, tout comme les chroniques de journaux, lesquelles sont également omniprésentes dans la carrière de Michel et font aussi de lui un diffuseur de connaissances grand public.
De tous les textes que Michel a publiés au cours des années dans les quotidiens de la province, et ils sont trop nombreux pour tous les répertoriés, au cours des cinq dernières années, nous en comptons au moins quatre qui portent spécifiquement sur l’article 23 de la Charte : 1) « La dualité en éducation : un acquis protégé par la Constitution », 2) « La fermeture des écoles et la Charte canadienne des droits et libertés », 3) « Le Renvoi du ministre Rousselle et la communauté acadienne », et 4) « Reprendre le bâton du pèlerin »25. Dans un océan d’intérêts et de points de vue divergents, les textes du professeur Doucet ont le mérite d’offrir au public un point de vue neutre à l’égard des rouages du droit relatif à l’article 23 de la Charte.
Somme toute, les écrits de Michel se retrouvent dans pratiquement toutes les sphères de la société, puisqu’il a compris, je présume, que tous ont leur rôle à jouer et qu’il n’y a pas de tour d’ivoire en matière de diffusion des connaissances à l’égard des dossiers d’intérêts publics.
A – Les avis juridiques
Les avis juridiques ne sont habituellement pas mentionnés parmi la liste des activités qu’accomplit un avocat ou un professeur de droit, mais leur rôle est pourtant déterminant quand vient le temps de prendre la décision d’entamer une poursuite judiciaire ou non. L’avis juridique, de par sa nature même, constitue un document dont la diffusion est moins répandue, mais dont la valeur pour les clients est néanmoins très grande.
À ce sujet, nous avons répertorié sept avis juridiques relatifs à l’article 23 de la Charte, dont plusieurs ont mené à des résultats concrets26. L’un d’eux, en date de 2001, est intitulé « Les parents ayants droit des communautés de L’Anse au Clair, Forteau et L’Anse au Loup, Labrador, ont-ils droit à des services éducatifs, préscolaires et scolaires, en français selon l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés et, le cas échéant, à quels types de services ont-ils droit ? » a mené à une décision judiciaire favorable aux francophones du Labrador dont il sera question ci-dessous.
Également rédigé en 2001, l’avis juridique intitulé « La province du Nouveau-Brunswick a-t-elle une obligation constitutionnelle d’établir une école secondaire francophone dans la municipalité de Moncton ? » est aussi digne de mention. L’avis juridique a été préparé à la demande du Forum pour une école secondaire communautaire à Moncton, qui a également a obtenu du financement de la part du Programme de contestation judiciaire en vue d’entamer une poursuite à cet égard27.
Il existe peu d’information entourant la création de l’école sur la toile et aucun communiqué de presse n’a été émis par le gouvernement à l’époque en vue d’en faire l’annonce. La première fois dont il en est question semble être dans un communiqué de presse en date du 20 décembre 2002, où on y trouve, au milieu d’une liste, la mention de 100 000 $ qui a été prévu pour l’élaboration des caractéristiques éducationnelles d’une nouvelle école francophone qui desservira les élèves de la 6e à la 12 e année28.
Bien qu’on puisse lire sur Wikipédia, au sujet de la construction de l’école, que « prior to construction, the idea of a second francophone complex had been in the minds of the New Brunswick Department of Education since as early as December 20, 2002 »29, la réalité en est tout autrement. La formation du Forum, l’avis juridique et l’obtention du financement du Programme de contestation judiciaire nous indique le contraire. Il s’agissait plutôt des efforts concertés de bon nombre de personnes, lesquelles pouvaient s’appuyer sur un avis juridique à la fine pointe des connaissances en la matière, donnant ainsi beaucoup de poids à leurs revendications. Il aura toutefois nécessité que la poursuite soit déposée pour que le gouvernement provincial change son fusil d’épaule et accepte de construire l’école.
Des avis juridiques ont également été rédigés dans le cas de l’École des pionniers à Quispamsis, qui a ouvert ses portes en janvier 201530, et de l’École Le Sommet à Moncton, qui a ouvert ses portes en janvier 201431. Ces avis ont été envoyés aux gouvernements respectifs de l’époque, lesquels ont subséquemment accepté d’aller de l’avant avec la construction des écoles sans que les demandeurs n’aient à déposer un avis de poursuite. La construction de ces deux écoles montre le rôle, incognito, mais combien important, que peut exercer l’avis juridique – surtout quand on connaît la durée des procédures judiciaires. Bien qu’il ne soit pas aussi glorieux que le jugement déclaratoire, il procure, dans bien des cas, des résultats efficaces, rapides et tant attendus par la communauté !
B – Les plaidoiries
1) Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l’Éducation)
Dans l’arrêt Doucet-Boudreau, des parents provenant de cinq districts scolaires réclamaient des écoles secondaires francophones homogènes. Le gouvernement a accepté leur demande et a modifié en conséquence les articles 11 à 16 de la Education Act afin de constituer le conseil scolaire acadien provincial, mais en prévoyant que seul le ministre a le pouvoir de construire et d’aménager des écoles. Malgré cela, la mise en chantier n’a jamais eu lieu. En 1998, les parents ont donc demandé une ordonnance à la cour « enjoignant à la province et au Conseil de fournir, sur les fonds publics, des programmes et des écoles homogènes de langue française au niveau secondaire »32.
En première instance, le juge LeBlanc de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse a statué33 que les parents jouissent du droit prévu à l’article 23 de la Charte et que le nombre d’élèves justifie « la fourniture d’établissements d’enseignement secondaire francophones homogènes à Chéticamp, Île Madame-Arichat (Petit-de-Grat), Argyle et Clare »34. Il a rendu un jugement déclaratoire, une ordonnance et s’est déclaré compétent pour entendre des comptes rendus relatifs au progrès qu’accomplirait le gouvernement dans la construction des écoles, puisque, selon lui, « ce qui est véritablement en cause est non pas l’existence et le contenu des droits que l’art. 23 garantit aux appelants, mais plutôt la date à laquelle ils pourront finalement bénéficier des programmes et des écoles »35.
Le gouvernement de la Nouvelle-Écosse a interjeté appel, mais seulement à l’égard de la déclaration de compétence pour entendre des comptes rendus. La Cour d’appel a donné raison au gouvernement. Selon elle, « le juge de première instance ne peut pas rester saisi de l’affaire après avoir tranché la question en litige entre les parties »36. La Cour d’appel se réfère notamment à la règle de common law du functus officio et à la Judicature Act, R.S.N.S. 1989, ch. 240, laquelle empêcherait, selon eux, « le juge de première instance de se déclarer compétent pour déterminer si l’ordonnance rendue a été respectée »37.
Madame Doucet-Boudreau a fait appel à la Cour suprême du Canada, où huit entités ont demandé d’obtenir le statut d’intervenant, dont la Fédération nationale des conseillères et conseillers scolaires francophones, qui a demandé à Michel de les représenter.
Selon la Cour suprême du Canada, « la question principale est simplement de savoir si […] la Cour suprême de la Nouvelle?Écosse a le pouvoir de se déclarer compétente pour entendre les comptes rendus de la province sur les efforts qu’elle a déployés pour mettre à exécution la réparation fondée sur le par. 24(1) de la Charte »38.
Afin d’analyser la portée du pouvoir conféré par le paragraphe 24(1) de la Charte et donc de répondre à la question, une question préliminaire s’imposait, qui ne faisait pas nécessairement l’unanimité au sein des parties et des intervenants : doit-on tenir compte de l’objet de l’article 23 de la Charte dans l’analyse de l’étendue des pouvoirs que confère le paragraphe 24(1) de la Charte ?
Rappelons que le paragraphe 24(1) prévoit que :
Les seules limites aux pouvoirs conférés aux cours supérieurs visés par ce paragraphe sont prévues par cette disposition constitutionnelle et aucune loi ou règle de common law ne peuvent y apporter une limite quelconque. Par conséquent, la seule limite qui y est prévue est que la réparation qu’estime le tribunal soit convenable et juste eu égard aux circonstances, un pouvoir on ne peut « plus large et plus absolu »39.
L’argument de Michel était justement que la réparation convenable et juste eu égard aux circonstances doit tenir compte de l’objet de l’article 23, puisqu’il fait intrinsèquement partie des circonstances de l’affaire :
Sans l’article 23, les parents n’auraient aucun droit à invoquer devant les tribunaux et le juge n’aurait aucune réparation à accorder. Le cas échéant, l’inertie et les atermoiements du gouvernement de la Nouvelle-Écosse ne seraient pas justiciables des tribunaux, mais se décideraient plutôt dans l’arène politique. C’est bien parce qu’il y a un droit constitutionnel en cause, lequel vise à réparer les torts historiques et à fournir une instruction de qualité égale dans la langue officielle de la minorité sur les fonds publics, que la poursuite judiciaire a été entamée et que le juge LeBlanc a accordé cette réparation.
Selon Michel, « [l]’article 23 comporte également une dimension de qualité égale d’éducation » et cette égalité justifie non seulement la réparation novatrice qu’a rendue le juge LeBlanc, mais la commandait :
La conclusion de la Cour suprême du Canada sera sans équivoque : « [i]l va sans dire [que la réparation convenable et juste eu égard aux circonstances] tient compte de la nature du droit violé et de la situation du demandeur. Une réparation utile doit être adaptée à l’expérience vécue par le demandeur et tenir compte des circonstances de la violation ou de la négation du droit en cause »42. En tenant compte de l’objet de l’article 23, la majorité de la Cour en tirera la conclusion que « [l]a réparation conçue par le juge LeBlanc défendait utilement les droits des parents appelants en encourageant la province à construire promptement des écoles […] »43.
Si Michel se réjouit de la ratio decidendi de ce jugement et de ses effets positifs sur les communautés de langue officielle en situation minoritaire de partout au Canada, il demeure lucide à son égard :
2) Chubbs v. Newfoundland and Labrador45
L’affaire Chubbs est celle dont personne, ou presque, n’a entendu parler, mais qui constitue un exemple novateur et créatif du critère variable de la mise en œuvre de l’article 23.
Michel a de très bonnes connaissances en géographie, mais je soupçonne que même lui ne savait pas où se trouvait L’Anse-au-Clair avant que Madame Claudette Chubbs ne l’appel pour retenir ses services. Comme on peut le constater sur l’image ci-dessous, le village de L’Anse-au-Clair est situé tout près de la frontière qui sépare le Québec du Labrador, soit à environ 5 km du village de Blanc-Sablon, Québec.
Bon nombre de parents francophones de L’Anse-au-Clair envoyaient leurs enfants à l’école de Blanc-Sablon afin qu’ils reçoivent une éducation en français, mais la province de Terre-Neuve-et-Labrador refusait d’assumer, avant la poursuite, les coûts afférents. Au procès, la province a reconnu le fait qu’il y avait des ayants droit dans la région. Par conséquent, il ne restait plus qu’à déterminer s’il y avait un nombre suffisant d’élèves qui justifiait à leur endroit la prestation, sur les fonds publics, de l’instruction dans la langue de la minorité et, le cas échéant, si la province respectait ses obligations constitutionnelles en envoyant les enfants à Blanc-Sablon pour qu’ils y reçoivent leur éducation en français46.
Selon la Cour, le nombre d’enfants est suffisant pour justifier à leur endroit la prestation, sur les fonds publics, de l’instruction dans la langue de la minorité. Bien qu’il n’y en ait environ que 1747, ce nombre n’est pas très différent de ceux qu’on retrouve à Happy Valley/Goose Bay – où il y en a 20 – et de Labrador City – où il y en a 2648. La question ensuite est donc celle de savoir quelle forme prendra cette instruction.
Étant donné le nombre d’élèves, si la province construit une école à L’Anse-au-clair, il s’agira d’un édifice contenant deux salles de classes et deux enseignants, une solution qui ne plait pas trop aux parents ayants-droit49. Cependant, l’emplacement géographique de L’Anse-au-clair offre aux francophones de ce petit village un moyen d’obtenir une éducation en français dans un milieu francophone. L’école de Blanc-Sablon semble être la solution parfaite : en envoyant les francophones de L’Anse-au-clair à l’école de Blanc-Sablon, les élèves francophones bénéficient ainsi d’une éducation qui se situe au niveau supérieur du critère variable des services qu’est tenu d’offrir un gouvernement, alors que la construction d’une école contenant deux enseignants et deux salles de classe offre une solution qui se situe plutôt vers le niveau inférieur du critère variable. La seule question est de savoir si, suivant le libellé de l’article 23 de la Charte, cette prestation de service doit avoir lieu « dans la province »50.
Se référant à l’objet de l’article 23 et au conseil judicieux du juge en chef Dickson dans l’arrêt Mahé, selon lequel « [s]’il y a lieu d’être prudent dans l’interprétation d’un tel article, cela ne veut pas dire que les tribunaux ne devraient pas “insuffler la vie” à l’objet exprimé ou devraient se garder d’accorder les réparations, nouvelles peut?être, nécessaires à la réalisation de cet objet »51, le juge en arrivera à la conclusion qu’une entente entre la province de Terre-Neuve-et-Labrador et la province de Québec constitue un moyen adéquat de combler ses obligations qui découlent de l’article 23 de la Charte.
Selon le juge, l’objet de l’article 23 est notamment de « préserver et de promouvoir, en ce qui nous concerne, la langue et la culture françaises dans la région du sud de la province du Labrador » [notre traduction]52. Une interprétation restrictive de l’article 23 pourrait mener à croire que l’instruction doit avoir lieu expressément à l’intérieur des frontières d’une province, mais, au sujet de la façon d’interpréter cet article, la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Mahé s’était exprimée ainsi : « [j]e ne crois pas que ce passage appuie la proposition que l’art. 23 doit recevoir une interprétation particulièrement restrictive ou qu’il faut faire abstraction de son caractère réparateur »53.
Le juge a donc conclu qu’une interprétation qui aurait comme conséquence de forcer le gouvernement à offrir une instruction dans la province serait non seulement restrictive, mais également contraire à l’objet de l’article 23. La province satisfait donc à ses obligations en vertu de l’article 23 de la Charte en concluant une entente avec la province de Québec et permet ainsi à ces enfants de recevoir une instruction en français, dans une école française, dans une communauté francophone.54
3) Solski (Tuteur de) c. Québec (Procureur général)55
En appel à la Cour suprême du Canada, Michel était l’un des deux représentants pour les intervenantes la Fédération nationale des conseillères et conseillers scolaires francophones et la Commission nationale des parents francophones.
Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada devait analyser la constitutionnalité du paragraphe 73(2) de laCharte de la langue française au regard de l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés. Plus précisément, la Cour se penchera sur le critère de « la majeure partie » qu’on retrouve au paragraphe 73(2), lequel est rédigé ainsi :
À la suite d’une demande en ce sens, le comité de révision sur la langue d’enseignement et le Tribunal administratif du Québec « décide de l’admissibilité uniquement en fonction du nombre de mois passés à étudier dans chaque langue, sans tenir compte d’autres facteurs comme l’existence de programmes linguistiques ou de problèmes d’apprentissage ou d’autres difficultés […] »56.
Le paragraphe 23(2) de la Charte canadienne, quant à lui, ne fait aucunement allusion à un critère similaire à celui de « la majeure partie ». Ce paragraphe est rédigé ainsi :
Selon la Cour, l’objet du paragraphe 23(2) est de « garantir le droit à la continuité de l’instruction dans la langue de la minorité, de préserver l’unité familiale et de favoriser la liberté de circulation et d’établissement »57. Par conséquent, la Cour ne peut accepter l’interprétation mathématique restrictive que préconise le ministre dans l’application du paragraphe 73(2), puisqu’elle est incompatible avec l’objet du paragraphe 23(2) de laCharte canadienne58.
Cela dit, le critère de « la majeure partie », quant à lui, n’est pas nécessairement incompatible avec l’objet du paragraphe 23(2) de la Charte canadienne, mais pour être sauvegardé, il doit recevoir une interprétation qualitative plutôt que quantitative59. Le cas échéant, la Cour indique que plusieurs facteurs doivent être considérés dans l’application de ce critère qualitatif et notamment afin de s’assurer que l’approche mathématique restrictive n’ait pas « pour effet d’empêcher un enfant de recevoir un enseignement essentiel au maintien de son lien avec la communauté et la culture minoritaires »60.
Parmi ces facteurs, la Cour mentionne « le temps passé dans chaque programme, l’étape des études à laquelle le choix de la langue d’instruction a été fait, les programmes qui sont offerts ou qui l’étaient et l’existence ou non de problèmes d’apprentissage ou d’autres difficultés »61. Ouvrant la porte à une vision holistique du parcours scolaire de l’élèves afin d’appliquer le critère de « la majeure partie », la Cour devait toutefois considérer l’effet des programmes d’immersion dans cette équation qualitative… et c’est exactement ce que Michel est venu plaider devant la Cour.
Michel argumentera que les programmes d’immersion ne doivent pas être considérés comme des écoles de la minorité et que les élèves qui participent à ces programmes ne doivent pas être considérés comme des ayants-droit. Pour Michel, le lien entre la langue d’instruction et la culture a non seulement été établi de façon on ne peut plus clair par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Mahé, mais constitue également une préoccupation de longue date au Nouveau-Brunswick62.
La crainte est que, si l’on considère les programmes d’immersion comme des écoles de la minorité, les élèves francophones du Nouveau-Brunswick, selon la région dans laquelle ils habitent et les écoles avoisinantes, s’inscriront aux programmes d’immersion des écoles anglophones. Or, comme la Cour l’indique, ces programmes sont destinés à enseigner une langue seconde aux élèves de la majorité, ne possèdent pas l’élément culturel et toutes les activités qui se déroulent à l’extérieur de la salle de classe, se déroulent en anglais63. La crainte étant bien entendue que l’on assiste par le fait même à une assimilation graduelle, une situation qui serait contraire à la raison d’être de l’article 23 de la Charte.
Bien que cette intervention n’était pas centrale dans l’arrêt Solski, elle était cependant essentielle pour toutes les communautés de langue française à l’extérieur du Québec, avis que partageais la Cour suprême du Canada : « reconnaître que les programmes d’immersion constituent un aspect de l’enseignement dans la langue de la minorité ne tient pas compte du fait que [les élèves reçoivent], en fait, un enseignement pour anglophones et [qu’ils ont] des liens plus étroits avec la communauté anglophone qu’avec la communauté francophone »64.
L’implication de Michel à l’égard des droits linguistiques dans le domaine de l’éducation ne se limite toutefois pas qu’aux activités mentionnées ci-dessus. Il a également été membre, à titre de parent, du Conseil consultatif des parents auprès du District scolaire no 1, membre du Comité consultatif des parents – École Anna-Malenfant (Dieppe) et représentant de la communauté sur le comité tripartite de l’Entente Canada-Communauté acadienne-Nouveau-Brunswick, en plus d’avoir siégé à la Commission provinciale de l’Éducation du Nouveau-Brunswick.
En explorant et en décortiquant la carrière du professeur, on en arrive à regrouper le tout en différentes catégories et à lui attribuer par le fait même divers chapeaux. Bien que cela ne soit pas tout à fait faux, il est peut-être plus juste d’y voir un individu, membre d’une communauté de langue officielle, laquelle s’étend d’un bout à l’autre du pays, qui a mis ses connaissances et son expertise au profit de sa communauté, tout en accordant une attention particulière au domaine de l’éducation, puisque les enfants représentent l’avenir et donc le maintien de sa communauté.
I – LES CONFÉRENCES ET LES ÉCRITS
A – Les conférences
S’il peut paraître étrange de parler des conférences que donne un professeur de droit, nous sommes d’avis que le nombre et l’auditoire varié justifient qu’on en glisse un mot. Effectivement, si Michel Doucet a donné quelques conférences au sujet de l’article 23 de la Charte et des droits à l’instruction dans la langue de la minorité dans le cadre de colloques2, il en a donné davantage à des auditoires plus variés démographiquement et géographiquement.
Depuis la fin des années 90, Michel a donné de nombreuses conférences au sujet de l’article 23 de la Charte à différents regroupements de conseils scolaires de partout au Canada, en plus d’en donner une, voire deux et même trois par année, aux étudiantes et étudiants de la Faculté d’éducation de l’Université de Moncton3. C’est dire que la sensibilisation à l’objet de l’article 23 des différents acteurs du système d’éducation d’une province ou d’un territoire est une tâche constante et, grâce au dévouement de Michel, certains d’entre eux ont eu la chance d’en prendre connaissance avant même l’arrivée sur le marché du travail !
Parmi les regroupements de conseils scolaires auxquels Michel a donné des conférences, mentionnons la Fédération nationale des conseils scolaires francophones, l’Association des conseils d’éducation publics de l’Ontario, la Fédération des conseillers scolaires francophones du Nouveau-Brunswick, la Fédération des parents francophones de Terre-Neuve et du Labrador et la Commission nationale des parents francophones. Il ne s’est cependant pas limité qu’à ces regroupements, les enseignantes et enseignants du District scolaire 1, la Commission nationale des parents francophones et la Société Saint-Thomas-D’Aquin ont également eu le plaisir de l’entendre à ce sujet.
Dans le cadre de ces conférences, Michel a présenté divers sujets relatifs à l’article 23 de la Charte, dont « La gestion scolaire et le principe de l’égalité des résultats », « La reconnaissance de l’éducation préscolaire sous l’article 23 » et « L’article 23 et le droit des parents », en plus d’informer ces auditoires des nouveautés jurisprudentielles : « La portée de la décision dans l’arrêt Doucet-Boudreau » et « La jurisprudence de l’article 23 et la petite enfance ».
Le nombre de conférences que Michel a données à des conseils scolaires ou autre regroupement similaire au sujet de l’article 23 de la Charte dépasse largement celui des conférences qu’il a données à des colloques. Le lecteur averti aura bien compris que l’éducation des ayants droit – par l’entremise des conseils scolaires – en raison du pouvoir de gestion et de contrôle qu’ils détiennent à l’égard des questions touchant à la langue et la culture est vital au maintien des deux langues officielles en situation minoritaire au Canada et des cultures qu’elles représentent4.
La décision du Conseil d’éducation du district scolaire francophone Sud de fermer l’école de St-Paul en constitue un exemple éloquent5. Malgré les conseils judicieux de Michel6, ce Conseil a appliqué à la lettre la politique 409 du Gouvernement du Nouveau-Brunswick intitulée à l’époque Fermeture des écoles et n’a pas tenu compte de son pouvoir de gestion et de contrôle en ce qui concerne les questions qui touchent à la langue et à la culture d’une communauté de langue officielle en situation minoritaire. Jugeant que l’école n’était pas viable, à la suite de l’application des critères prévus dans ladite politique, le conseil recommandait sa fermeture, mais demandait au ministère de l’Éducation et du Développement de la petite enfance « de s’assurer que la fermeture de l’école St-Paul respecte l’article 23 de la Charte »7. Le ministre a quant à lui annoncé la fermeture de l’école8.
L’abdication de leur pouvoir et de leur rôle de protecteur de la langue et de la culture dans ce dossier a, d’abord, donné lieu à une saga judiciaire relative à des questions procédurales9, pour ensuite aboutir à une décision, en révision judiciaire, le 18 mai 2018 invalidant la décision du ministre de fermer l’école de St-Paul10. Mené par le comité de sauvegarde de l’école St-Paul, les démarches ont pour but de maintenir l’école ouverte, laquelle est fermée depuis la fin de l’année scolaire 2016.
Ces conférences illustrent à merveille le dévouement qu’a Michel à l’égard des droits linguistiques et des communautés de langue officielle vivant en situation minoritaire et de l’importance d’informer les ayants droit, qu’ils soient des parents ou des membres des conseils scolaires ainsi que des divers regroupements de conseils scolaires.
B – Les écrits
Ses écrits au sujet de l’article 23 de la Charte sont relativement nombreux et diversifiés. Ses trois plus grandes contributions en la matière sont vraisemblablement le chapitre intitulé « Les droits à l’instruction en français », publié dans son plus récent ouvrage Les droits linguistiques au Nouveau-Brunswick – À la recherche de l’égalité réelle !11, le chapitre intitulé « L’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés », publié dans la cinquième édition de l’ouvrage collectif bilingue The Canadian Charter of Rights and Freedoms/Charte canadienne des droit et libertés12 et l’article intitulé « L’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés », publié dans la Supreme Court Law Review13, que la Cour suprême du Canada a notamment cité dans l’arrêt Association des parents de l’école Rose?des?vents c. Colombie?Britannique (Éducation)14.
Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada mentionnait notamment qu’il y avait, au Canada, une tradition voulant que « les représentants de l’État prennent au sérieux les jugements déclaratoires fondés sur la Charte »15 et que, par conséquent, lorsque la Cour émet un jugement déclaratoire, elle « tient pour acquis que le gouvernement en question se conformera rapidement et entièrement au jugement rendu »16. Un point de vue qu’énonçait clairement Michel dans l’article en question :
En règle générale, le Canada peut être fier d’avoir une tradition de respect des décisions judiciaires. La Cour suprême du Canada souligne dans l’arrêt Doucet-Boudreau que cette tradition prend une dimension particulière dans le contexte du droit constitutionnel, où les tribunaux doivent veiller à ce que l’action du gouvernement soit conforme aux normes constitutionnelles, tout en ne perdant pas de vue la séparation des pouvoirs entre l’exécutif, le législatif et le judiciaire.
Michel cite ensuite un extrait de l’arrêt Vriend c. Alberta où la Cour suprême du Canada mentionne notamment qu’il « incombe plutôt aux tribunaux de faire respecter la Constitution […]. Toutefois, il est tout aussi important, pour les tribunaux, de respecter eux-mêmes les fonctions du pouvoir législatif et de l’exécutif que de veiller au respect, par ces pouvoirs, de leur rôle respectif et de celui des tribunaux »17. La Cour tenait ses propos alors qu’elle se prononçait au sujet de la relation entre le législateur et les tribunaux sous le régime de la Charte, ce qui l’a amené également à parler d’un dialogue entre les tribunaux et le gouvernement dans la mesure où le gouvernement apporte les modifications nécessaires aux lois à la suite des jugements que rendent les tribunaux. La Cour se prononçait par le fait même en faveur du jugement déclaratoire étant donné le respect qu’a le gouvernement envers ce dernier. Des propos qui ont également trouvé écho, nous dit Michel, dans l’arrêtRJR-Macdonald Inc. c. Canada (Procureur général)18 et dans l’arrêtDoucet-Boudreau19.
Au sujet des jugements déclaratoires, Michel concluait ainsi :
Le redressement déclaratoire est souvent la solution préférée par les tribunaux canadiens dans le cas d’une violation de l’article 23. En rendant un jugement déclaratoire, le tribunal se prononce sur la question de la violation d’une obligation constitutionnelle, mais sans rendre une ordonnance exécutoire20.
L’état du droit en matière des jugements déclaratoires au sujet de l’article 23 de la Charte y étant clairement énoncé, la Cour suprême du Canada pouvait facilement s’y appuyer pour conclure qu’il s’agit « d’ailleurs [d’]une des raisons pour lesquelles les tribunaux choisissent souvent de rendre des jugements déclaratoires dans le contexte de l’art. 23 »21.
Michel publiera également un article dans la Revue de la common law en français, revue de sa Faculté de droit à laquelle il a d’ailleurs beaucoup contribué au fil dans ans22, au sujet de l’arrêtDoucet-Boudreau dont il sera davantage question ci-dessous23.
Michel publiera également deux textes importants au sujet de l’article 23 sur le Blogue sur les droits linguistiques intitulé « Qui possède la qualité pour agir en vertu de l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés ? » et « L’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés et l’admission des non-ayants droit à l’école francophone »24. Le Blogue permet de réagir rapidement à des sujets d’actualités et d’en assurer l’accessibilité à long terme, tout comme les chroniques de journaux, lesquelles sont également omniprésentes dans la carrière de Michel et font aussi de lui un diffuseur de connaissances grand public.
De tous les textes que Michel a publiés au cours des années dans les quotidiens de la province, et ils sont trop nombreux pour tous les répertoriés, au cours des cinq dernières années, nous en comptons au moins quatre qui portent spécifiquement sur l’article 23 de la Charte : 1) « La dualité en éducation : un acquis protégé par la Constitution », 2) « La fermeture des écoles et la Charte canadienne des droits et libertés », 3) « Le Renvoi du ministre Rousselle et la communauté acadienne », et 4) « Reprendre le bâton du pèlerin »25. Dans un océan d’intérêts et de points de vue divergents, les textes du professeur Doucet ont le mérite d’offrir au public un point de vue neutre à l’égard des rouages du droit relatif à l’article 23 de la Charte.
Somme toute, les écrits de Michel se retrouvent dans pratiquement toutes les sphères de la société, puisqu’il a compris, je présume, que tous ont leur rôle à jouer et qu’il n’y a pas de tour d’ivoire en matière de diffusion des connaissances à l’égard des dossiers d’intérêts publics.
II – LES AVIS JURIDIQUES ET LES PLAIDOIRIES
A – Les avis juridiques
Les avis juridiques ne sont habituellement pas mentionnés parmi la liste des activités qu’accomplit un avocat ou un professeur de droit, mais leur rôle est pourtant déterminant quand vient le temps de prendre la décision d’entamer une poursuite judiciaire ou non. L’avis juridique, de par sa nature même, constitue un document dont la diffusion est moins répandue, mais dont la valeur pour les clients est néanmoins très grande.
À ce sujet, nous avons répertorié sept avis juridiques relatifs à l’article 23 de la Charte, dont plusieurs ont mené à des résultats concrets26. L’un d’eux, en date de 2001, est intitulé « Les parents ayants droit des communautés de L’Anse au Clair, Forteau et L’Anse au Loup, Labrador, ont-ils droit à des services éducatifs, préscolaires et scolaires, en français selon l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés et, le cas échéant, à quels types de services ont-ils droit ? » a mené à une décision judiciaire favorable aux francophones du Labrador dont il sera question ci-dessous.
Également rédigé en 2001, l’avis juridique intitulé « La province du Nouveau-Brunswick a-t-elle une obligation constitutionnelle d’établir une école secondaire francophone dans la municipalité de Moncton ? » est aussi digne de mention. L’avis juridique a été préparé à la demande du Forum pour une école secondaire communautaire à Moncton, qui a également a obtenu du financement de la part du Programme de contestation judiciaire en vue d’entamer une poursuite à cet égard27.
Il existe peu d’information entourant la création de l’école sur la toile et aucun communiqué de presse n’a été émis par le gouvernement à l’époque en vue d’en faire l’annonce. La première fois dont il en est question semble être dans un communiqué de presse en date du 20 décembre 2002, où on y trouve, au milieu d’une liste, la mention de 100 000 $ qui a été prévu pour l’élaboration des caractéristiques éducationnelles d’une nouvelle école francophone qui desservira les élèves de la 6e à la 12 e année28.
Bien qu’on puisse lire sur Wikipédia, au sujet de la construction de l’école, que « prior to construction, the idea of a second francophone complex had been in the minds of the New Brunswick Department of Education since as early as December 20, 2002 »29, la réalité en est tout autrement. La formation du Forum, l’avis juridique et l’obtention du financement du Programme de contestation judiciaire nous indique le contraire. Il s’agissait plutôt des efforts concertés de bon nombre de personnes, lesquelles pouvaient s’appuyer sur un avis juridique à la fine pointe des connaissances en la matière, donnant ainsi beaucoup de poids à leurs revendications. Il aura toutefois nécessité que la poursuite soit déposée pour que le gouvernement provincial change son fusil d’épaule et accepte de construire l’école.
Des avis juridiques ont également été rédigés dans le cas de l’École des pionniers à Quispamsis, qui a ouvert ses portes en janvier 201530, et de l’École Le Sommet à Moncton, qui a ouvert ses portes en janvier 201431. Ces avis ont été envoyés aux gouvernements respectifs de l’époque, lesquels ont subséquemment accepté d’aller de l’avant avec la construction des écoles sans que les demandeurs n’aient à déposer un avis de poursuite. La construction de ces deux écoles montre le rôle, incognito, mais combien important, que peut exercer l’avis juridique – surtout quand on connaît la durée des procédures judiciaires. Bien qu’il ne soit pas aussi glorieux que le jugement déclaratoire, il procure, dans bien des cas, des résultats efficaces, rapides et tant attendus par la communauté !
B – Les plaidoiries
1) Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l’Éducation)
Dans l’arrêt Doucet-Boudreau, des parents provenant de cinq districts scolaires réclamaient des écoles secondaires francophones homogènes. Le gouvernement a accepté leur demande et a modifié en conséquence les articles 11 à 16 de la Education Act afin de constituer le conseil scolaire acadien provincial, mais en prévoyant que seul le ministre a le pouvoir de construire et d’aménager des écoles. Malgré cela, la mise en chantier n’a jamais eu lieu. En 1998, les parents ont donc demandé une ordonnance à la cour « enjoignant à la province et au Conseil de fournir, sur les fonds publics, des programmes et des écoles homogènes de langue française au niveau secondaire »32.
En première instance, le juge LeBlanc de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse a statué33 que les parents jouissent du droit prévu à l’article 23 de la Charte et que le nombre d’élèves justifie « la fourniture d’établissements d’enseignement secondaire francophones homogènes à Chéticamp, Île Madame-Arichat (Petit-de-Grat), Argyle et Clare »34. Il a rendu un jugement déclaratoire, une ordonnance et s’est déclaré compétent pour entendre des comptes rendus relatifs au progrès qu’accomplirait le gouvernement dans la construction des écoles, puisque, selon lui, « ce qui est véritablement en cause est non pas l’existence et le contenu des droits que l’art. 23 garantit aux appelants, mais plutôt la date à laquelle ils pourront finalement bénéficier des programmes et des écoles »35.
Le gouvernement de la Nouvelle-Écosse a interjeté appel, mais seulement à l’égard de la déclaration de compétence pour entendre des comptes rendus. La Cour d’appel a donné raison au gouvernement. Selon elle, « le juge de première instance ne peut pas rester saisi de l’affaire après avoir tranché la question en litige entre les parties »36. La Cour d’appel se réfère notamment à la règle de common law du functus officio et à la Judicature Act, R.S.N.S. 1989, ch. 240, laquelle empêcherait, selon eux, « le juge de première instance de se déclarer compétent pour déterminer si l’ordonnance rendue a été respectée »37.
Madame Doucet-Boudreau a fait appel à la Cour suprême du Canada, où huit entités ont demandé d’obtenir le statut d’intervenant, dont la Fédération nationale des conseillères et conseillers scolaires francophones, qui a demandé à Michel de les représenter.
Selon la Cour suprême du Canada, « la question principale est simplement de savoir si […] la Cour suprême de la Nouvelle?Écosse a le pouvoir de se déclarer compétente pour entendre les comptes rendus de la province sur les efforts qu’elle a déployés pour mettre à exécution la réparation fondée sur le par. 24(1) de la Charte »38.
Afin d’analyser la portée du pouvoir conféré par le paragraphe 24(1) de la Charte et donc de répondre à la question, une question préliminaire s’imposait, qui ne faisait pas nécessairement l’unanimité au sein des parties et des intervenants : doit-on tenir compte de l’objet de l’article 23 de la Charte dans l’analyse de l’étendue des pouvoirs que confère le paragraphe 24(1) de la Charte ?
Rappelons que le paragraphe 24(1) prévoit que :
Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s’adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.
Les seules limites aux pouvoirs conférés aux cours supérieurs visés par ce paragraphe sont prévues par cette disposition constitutionnelle et aucune loi ou règle de common law ne peuvent y apporter une limite quelconque. Par conséquent, la seule limite qui y est prévue est que la réparation qu’estime le tribunal soit convenable et juste eu égard aux circonstances, un pouvoir on ne peut « plus large et plus absolu »39.
L’argument de Michel était justement que la réparation convenable et juste eu égard aux circonstances doit tenir compte de l’objet de l’article 23, puisqu’il fait intrinsèquement partie des circonstances de l’affaire :
En cherchant le recours « convenable et juste » sous le paragraphe 24(1), le tribunal se doit de porter une attention particulière, comme l’on fait le juge en première instance et la Cour suprême en l’espèce, à l’objet de l’article 23, à son caractère réparateur, à son rôle important relativement au maintien et au développement des minorités linguistiques et dans la transmission de la culture et de la langue de la minorité. [En l’espèce], la preuve a clairement démontré la situation critique et périlleuse dans laquelle se trouve la communauté de langue française de la Nouvelle-Écosse et elle a démontré que, si rien n’est fait, les droits seront fragilisés à un point tel qu’ils risquent de disparaître.40
Sans l’article 23, les parents n’auraient aucun droit à invoquer devant les tribunaux et le juge n’aurait aucune réparation à accorder. Le cas échéant, l’inertie et les atermoiements du gouvernement de la Nouvelle-Écosse ne seraient pas justiciables des tribunaux, mais se décideraient plutôt dans l’arène politique. C’est bien parce qu’il y a un droit constitutionnel en cause, lequel vise à réparer les torts historiques et à fournir une instruction de qualité égale dans la langue officielle de la minorité sur les fonds publics, que la poursuite judiciaire a été entamée et que le juge LeBlanc a accordé cette réparation.
Selon Michel, « [l]’article 23 comporte également une dimension de qualité égale d’éducation » et cette égalité justifie non seulement la réparation novatrice qu’a rendue le juge LeBlanc, mais la commandait :
Lier le concept de réparation de l’article 24 à celui de qualité égale d’éducation permet aux tribunaux de se centrer sur le véritable objet de l’article 23 qui est, non seulement d’assurer le maintien de la dualité canadienne, mais également de permettre une égalité des chances en éducation pour les minorités linguistiques, condition qui par ailleurs est essentielle à leur maintien et épanouissement. Puisque l’article 24 permet au tribunal compétent d’accorder le redressement qu’il « estime convenable et juste », le tribunal devra, dans la recherche d’un redressement, accorder celui qui permettra le mieux d’atteindre cette égalité des chances.41
La conclusion de la Cour suprême du Canada sera sans équivoque : « [i]l va sans dire [que la réparation convenable et juste eu égard aux circonstances] tient compte de la nature du droit violé et de la situation du demandeur. Une réparation utile doit être adaptée à l’expérience vécue par le demandeur et tenir compte des circonstances de la violation ou de la négation du droit en cause »42. En tenant compte de l’objet de l’article 23, la majorité de la Cour en tirera la conclusion que « [l]a réparation conçue par le juge LeBlanc défendait utilement les droits des parents appelants en encourageant la province à construire promptement des écoles […] »43.
Si Michel se réjouit de la ratio decidendi de ce jugement et de ses effets positifs sur les communautés de langue officielle en situation minoritaire de partout au Canada, il demeure lucide à son égard :
Si nous avons raison de nous réjouir de cette décision, il faut également être très prudent. La faible majorité doit être présente à nos esprits. Il faudra en façonnant leur recours que les communautés minoritaires choisissent bien leurs causes et qu’elles s’assurent que la preuve étayant leurs affirmations soit bien présentée et qu’elles rédigent avec clarté et précision l’ordonnance recherchée.44
2) Chubbs v. Newfoundland and Labrador45
L’affaire Chubbs est celle dont personne, ou presque, n’a entendu parler, mais qui constitue un exemple novateur et créatif du critère variable de la mise en œuvre de l’article 23.
Michel a de très bonnes connaissances en géographie, mais je soupçonne que même lui ne savait pas où se trouvait L’Anse-au-Clair avant que Madame Claudette Chubbs ne l’appel pour retenir ses services. Comme on peut le constater sur l’image ci-dessous, le village de L’Anse-au-Clair est situé tout près de la frontière qui sépare le Québec du Labrador, soit à environ 5 km du village de Blanc-Sablon, Québec.
Bon nombre de parents francophones de L’Anse-au-Clair envoyaient leurs enfants à l’école de Blanc-Sablon afin qu’ils reçoivent une éducation en français, mais la province de Terre-Neuve-et-Labrador refusait d’assumer, avant la poursuite, les coûts afférents. Au procès, la province a reconnu le fait qu’il y avait des ayants droit dans la région. Par conséquent, il ne restait plus qu’à déterminer s’il y avait un nombre suffisant d’élèves qui justifiait à leur endroit la prestation, sur les fonds publics, de l’instruction dans la langue de la minorité et, le cas échéant, si la province respectait ses obligations constitutionnelles en envoyant les enfants à Blanc-Sablon pour qu’ils y reçoivent leur éducation en français46.

Selon la Cour, le nombre d’enfants est suffisant pour justifier à leur endroit la prestation, sur les fonds publics, de l’instruction dans la langue de la minorité. Bien qu’il n’y en ait environ que 1747, ce nombre n’est pas très différent de ceux qu’on retrouve à Happy Valley/Goose Bay – où il y en a 20 – et de Labrador City – où il y en a 2648. La question ensuite est donc celle de savoir quelle forme prendra cette instruction.
Étant donné le nombre d’élèves, si la province construit une école à L’Anse-au-clair, il s’agira d’un édifice contenant deux salles de classes et deux enseignants, une solution qui ne plait pas trop aux parents ayants-droit49. Cependant, l’emplacement géographique de L’Anse-au-clair offre aux francophones de ce petit village un moyen d’obtenir une éducation en français dans un milieu francophone. L’école de Blanc-Sablon semble être la solution parfaite : en envoyant les francophones de L’Anse-au-clair à l’école de Blanc-Sablon, les élèves francophones bénéficient ainsi d’une éducation qui se situe au niveau supérieur du critère variable des services qu’est tenu d’offrir un gouvernement, alors que la construction d’une école contenant deux enseignants et deux salles de classe offre une solution qui se situe plutôt vers le niveau inférieur du critère variable. La seule question est de savoir si, suivant le libellé de l’article 23 de la Charte, cette prestation de service doit avoir lieu « dans la province »50.
Se référant à l’objet de l’article 23 et au conseil judicieux du juge en chef Dickson dans l’arrêt Mahé, selon lequel « [s]’il y a lieu d’être prudent dans l’interprétation d’un tel article, cela ne veut pas dire que les tribunaux ne devraient pas “insuffler la vie” à l’objet exprimé ou devraient se garder d’accorder les réparations, nouvelles peut?être, nécessaires à la réalisation de cet objet »51, le juge en arrivera à la conclusion qu’une entente entre la province de Terre-Neuve-et-Labrador et la province de Québec constitue un moyen adéquat de combler ses obligations qui découlent de l’article 23 de la Charte.
Selon le juge, l’objet de l’article 23 est notamment de « préserver et de promouvoir, en ce qui nous concerne, la langue et la culture françaises dans la région du sud de la province du Labrador » [notre traduction]52. Une interprétation restrictive de l’article 23 pourrait mener à croire que l’instruction doit avoir lieu expressément à l’intérieur des frontières d’une province, mais, au sujet de la façon d’interpréter cet article, la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Mahé s’était exprimée ainsi : « [j]e ne crois pas que ce passage appuie la proposition que l’art. 23 doit recevoir une interprétation particulièrement restrictive ou qu’il faut faire abstraction de son caractère réparateur »53.
Le juge a donc conclu qu’une interprétation qui aurait comme conséquence de forcer le gouvernement à offrir une instruction dans la province serait non seulement restrictive, mais également contraire à l’objet de l’article 23. La province satisfait donc à ses obligations en vertu de l’article 23 de la Charte en concluant une entente avec la province de Québec et permet ainsi à ces enfants de recevoir une instruction en français, dans une école française, dans une communauté francophone.54
3) Solski (Tuteur de) c. Québec (Procureur général)55
En appel à la Cour suprême du Canada, Michel était l’un des deux représentants pour les intervenantes la Fédération nationale des conseillères et conseillers scolaires francophones et la Commission nationale des parents francophones.
Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada devait analyser la constitutionnalité du paragraphe 73(2) de laCharte de la langue française au regard de l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés. Plus précisément, la Cour se penchera sur le critère de « la majeure partie » qu’on retrouve au paragraphe 73(2), lequel est rédigé ainsi :
Peuvent recevoir l’enseignement en anglais, à la demande de l’un de leurs parents :
[…] 2o les enfants dont le père ou la mère est citoyen canadien et qui ont reçu ou reçoivent un enseignement primaire ou secondaire en anglais au Canada, de même que leurs frères et sœurs, pourvu que cet enseignement constitue la majeure partie de l’enseignement primaire ou secondaire reçu au Canada;
[…] 2o les enfants dont le père ou la mère est citoyen canadien et qui ont reçu ou reçoivent un enseignement primaire ou secondaire en anglais au Canada, de même que leurs frères et sœurs, pourvu que cet enseignement constitue la majeure partie de l’enseignement primaire ou secondaire reçu au Canada;
À la suite d’une demande en ce sens, le comité de révision sur la langue d’enseignement et le Tribunal administratif du Québec « décide de l’admissibilité uniquement en fonction du nombre de mois passés à étudier dans chaque langue, sans tenir compte d’autres facteurs comme l’existence de programmes linguistiques ou de problèmes d’apprentissage ou d’autres difficultés […] »56.
Le paragraphe 23(2) de la Charte canadienne, quant à lui, ne fait aucunement allusion à un critère similaire à celui de « la majeure partie ». Ce paragraphe est rédigé ainsi :
(2) Les citoyens canadiens dont un enfant a reçu ou reçoit son instruction, au niveau primaire ou secondaire, en français ou en anglais au Canada ont le droit de faire instruire tous leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans la langue de cette instruction.
Selon la Cour, l’objet du paragraphe 23(2) est de « garantir le droit à la continuité de l’instruction dans la langue de la minorité, de préserver l’unité familiale et de favoriser la liberté de circulation et d’établissement »57. Par conséquent, la Cour ne peut accepter l’interprétation mathématique restrictive que préconise le ministre dans l’application du paragraphe 73(2), puisqu’elle est incompatible avec l’objet du paragraphe 23(2) de laCharte canadienne58.
Cela dit, le critère de « la majeure partie », quant à lui, n’est pas nécessairement incompatible avec l’objet du paragraphe 23(2) de la Charte canadienne, mais pour être sauvegardé, il doit recevoir une interprétation qualitative plutôt que quantitative59. Le cas échéant, la Cour indique que plusieurs facteurs doivent être considérés dans l’application de ce critère qualitatif et notamment afin de s’assurer que l’approche mathématique restrictive n’ait pas « pour effet d’empêcher un enfant de recevoir un enseignement essentiel au maintien de son lien avec la communauté et la culture minoritaires »60.
Parmi ces facteurs, la Cour mentionne « le temps passé dans chaque programme, l’étape des études à laquelle le choix de la langue d’instruction a été fait, les programmes qui sont offerts ou qui l’étaient et l’existence ou non de problèmes d’apprentissage ou d’autres difficultés »61. Ouvrant la porte à une vision holistique du parcours scolaire de l’élèves afin d’appliquer le critère de « la majeure partie », la Cour devait toutefois considérer l’effet des programmes d’immersion dans cette équation qualitative… et c’est exactement ce que Michel est venu plaider devant la Cour.
Michel argumentera que les programmes d’immersion ne doivent pas être considérés comme des écoles de la minorité et que les élèves qui participent à ces programmes ne doivent pas être considérés comme des ayants-droit. Pour Michel, le lien entre la langue d’instruction et la culture a non seulement été établi de façon on ne peut plus clair par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Mahé, mais constitue également une préoccupation de longue date au Nouveau-Brunswick62.
La crainte est que, si l’on considère les programmes d’immersion comme des écoles de la minorité, les élèves francophones du Nouveau-Brunswick, selon la région dans laquelle ils habitent et les écoles avoisinantes, s’inscriront aux programmes d’immersion des écoles anglophones. Or, comme la Cour l’indique, ces programmes sont destinés à enseigner une langue seconde aux élèves de la majorité, ne possèdent pas l’élément culturel et toutes les activités qui se déroulent à l’extérieur de la salle de classe, se déroulent en anglais63. La crainte étant bien entendue que l’on assiste par le fait même à une assimilation graduelle, une situation qui serait contraire à la raison d’être de l’article 23 de la Charte.
Bien que cette intervention n’était pas centrale dans l’arrêt Solski, elle était cependant essentielle pour toutes les communautés de langue française à l’extérieur du Québec, avis que partageais la Cour suprême du Canada : « reconnaître que les programmes d’immersion constituent un aspect de l’enseignement dans la langue de la minorité ne tient pas compte du fait que [les élèves reçoivent], en fait, un enseignement pour anglophones et [qu’ils ont] des liens plus étroits avec la communauté anglophone qu’avec la communauté francophone »64.
CONCLUSION
L’implication de Michel à l’égard des droits linguistiques dans le domaine de l’éducation ne se limite toutefois pas qu’aux activités mentionnées ci-dessus. Il a également été membre, à titre de parent, du Conseil consultatif des parents auprès du District scolaire no 1, membre du Comité consultatif des parents – École Anna-Malenfant (Dieppe) et représentant de la communauté sur le comité tripartite de l’Entente Canada-Communauté acadienne-Nouveau-Brunswick, en plus d’avoir siégé à la Commission provinciale de l’Éducation du Nouveau-Brunswick.
En explorant et en décortiquant la carrière du professeur, on en arrive à regrouper le tout en différentes catégories et à lui attribuer par le fait même divers chapeaux. Bien que cela ne soit pas tout à fait faux, il est peut-être plus juste d’y voir un individu, membre d’une communauté de langue officielle, laquelle s’étend d’un bout à l’autre du pays, qui a mis ses connaissances et son expertise au profit de sa communauté, tout en accordant une attention particulière au domaine de l’éducation, puisque les enfants représentent l’avenir et donc le maintien de sa communauté.
* Agent de projet à l’Observatoire international des droits linguistiques. Pour des raisons de santé, la personne qui devait donner une conférence au sujet de la carrière de Michel et l’article 23 de la Charte n’a pu être présente au colloque. Comme l’article 23 de la Charte a tout de même occupé une place importante dans la carrière de Michel, nous avons voulu écrire ces quelques lignes afin de reconnaître, ne serait-ce qu’en partie, la contribution de Michel à l’égard de l’article 23 de la Charte et du droit à l’instruction dans la langue de la minorité.
1 Mahé c Alberta, [1990] 1 RCS 342 aux pp 350 et 362 [Mahé].
2 Voir notamment Michel Doucet, « Les droits reconnus à l’article 23 : la jurisprudence, les leçons, les défis », Colloque sur les droits juridiques. Le deuxième souffle de l’article 23 , Fédération nationale des conseillères et conseillers scolaires francophones, Ottawa, le 18 octobre 2001 et Michel Doucet, « L’article 23 et le droit à l’éducation dans la langue de la minorité officielle », Faculté de droit de l’Université du Manitoba, le 6 mars 2013.
3 Faculté d’éducation, Université de Moncton, « L’éducation en milieu minoritaire : l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés », Moncton, N.-B.
4 Mahé, supra note 1.
5 « Le district a tranché : l’école de Saint-Paul doit fermer », en ligne : Acadie Nouvelle <https://www.acadienouvelle.com/actualites/2016/02/02/le-district-a-tranche-lecole-saint-paul-doit-fermer/>.
6 M. Doucet, « La fermeture des écoles et la Charte canadienne des droits et libertés » Acadie Nouvelle (21 janvier 2016), en ligne : <https://www.acadienouvelle.com/mon-opinion/2016/01/21/la-fermeture-des-ecoles-et-la-charte-canadienne-des-droits-et-libertes/>.
7 Ibid.
8 Voir Henrie c Province du Nouveau-Brunswick (Ministre de l’Éducation) , M/M/85/201 au para 33, jugement inédit au moment de la rédaction du présent texte [Henrie c PNB].
9 R c Henrie et Arsenault, et Conseil d’éducation du district scolaire francophone sud , 2017 NBCA 5 (CanLII), R c Henrie, 2016 CanLII 78836 (NB CA), R c Henrie, 2016 CanLII 58946 (NB CA), New Brunswick (Education and Early Childhood development) v Henrie , 2017 CanLII 24130 (NB CA).
10 Henrie c PNB, supra note 8.
11 Michel Doucet, Les droits linguistiques au Nouveau-Brunswick – À la recherche de l’égalité réelle ! , Les éditions de la Francophonie, Laval (Qc), 2017.
12 Errol Mendes et Stéphane Beaulac, dir, The Canadian Charter of Rights and Freedoms/Charte canadienne des droit et libertés , 5e éd, LexisNexis, 2013, 1071.
13 (2013) 62 Sup Ct L Rev (2d) 421 [« Article 23 », Sup Ct L Rev].
14 2015 CSC 21, [2015] 2 RCS 139 au para 65 [Rose-des-vents].
15 Ibid.
16 Doucet-Boudreau, infra note 19, cité dans Rose-des-vents, ibid.
17 [1998] 1 RCS 493 au para 136.
18 [1995] 3 RCS 199.
19 2003 CSC 62, [2003] 3 RCS 3 [Doucet-Boudreau].
20 « Article 23 », Sup Ct L Rev, supra note 13 à la p 462.
21 Rose-des-vents, supra note 14 au para 65.
22 Voir notamment Michel Doucet, « La Décision judiciaire qui ne sera jamais rendue : l’abolition du Programme de contestation judiciaire du Canada et la Partie VII de la Loi sur les langues officielles » (2008) 10 RCLF 27; Michel Doucet, « La Faculté de droit et la quête de l’égalité linguistique : du Lac Meech à la nouvelle Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick » (2003) 5 RCLF 55; Michel Doucet, « La Partie VII de la Loi sur les langues officielles du Canada : une victoire à la Pyrrhus ou un réel progrès? » (2007) 9 RCLF 31; Michel Doucet, « Le Concept de l’égalité dans l’arrêt Lalonde et al. c. Commission de restructuration des services de santé » (2002) 4:2 RCLF 273; Michel Doucet, « Pourquoi une langue mérite-t-elle une protection constitutionnelle ou législative? » (2009) 11 RCLF 55; Michel Doucet, « Rapport de synthèse Journée de réflexion sur la nouvelle Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick » (2004) 5 RCLF 545; Michel Doucet et Mark Power, « Charlebois c. Saint John (Ville) : Phare d’une régression en matière de droits linguistiques » (2006) 8 RCLF 383.
23 Michel Doucet, « Glenda Doucet-Boudreau et al. c. Attorney General of Nova Scotia » (2005) 6:2 RCLF 313 [Doucet, « Glenda Doucet-Boudreau »].
24 (2015) 2 RDL 189 et (2015) 2 RDL 239.
25 Voir notamment https://www.acadienouvelle.com/mon-opinion/2016/01/21/la-fermeture-des-ecoles-et-la-charte-canadienne-des-droits-et-libertes/, https://www.acadienouvelle.com/mon-opinion/2015/04/27/le-renvoi-du-ministre-rousselle-et-la-communaute-acadienne/, https://www.acadienouvelle.com/mon-opinion/2015/07/02/reprendre-le-baton-du-pelerin/.
26 Michel Doucet, « Étude d’impact sur les conséquences possibles du Renvoi sur la sécession du Québec sur les obligations du gouvernement fédéral en ce qui a trait à l’éducation dans la langue de la minorité francophone sous l’art. 23 », demandée par la Fédération nationale des conseillers et conseillères scolaires francophones, Ottawa, Ontario, 2002; Michel Doucet, « Étude d’impact de la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Glenda Doucet-Boudreau et al. c. Attorney General of Nova Scotia , [2003] 3 R.C.S. 3 », préparée pour la Fédération nationale des conseils scolaires francophones; Michel Doucet, « Est-ce que le libellé de l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés inclut les programmes préscolaires ? », Étude juridique préparée à la demande du Comité de Parents du Nouveau-Brunswick, Dieppe, N.-B., 2000 ; Michel Doucet, « L’article 23 de la Charte et la petite enfance » Étude exploratoire, Programme d’appui aux droits linguistiques, Ottawa, 2016.
27 Programme de contestation judiciaire du Canada, Rapport annuel 2001-2002, en ligne : <http://www.ccppcj.ca/fr/annrep0102.php>.
28 Gouvernement du Nouveau-Brunswick, « Education minister unveils capital projects for 2003-2004 (02/12/20) », en ligne : <http://www.gnb.ca/cnb/news/edu/2002e1288ed.htm>.
29 « École L’Odyssée », en ligne : Wikipédia <https://en.wikipedia.org/wiki/%C3%89cole_L%27Odyss%C3%A9e#History>.
30 District scolaire francophone Sud, « L’école de Quispamsis porte désormais le nom d’École des Pionniers », en ligne : <http://francophonesud.nbed.nb.ca/2014/08/nouvelle-368/>.
31 Gouvernement du Nouveau-Brunswick, « Ouverture officielle de l’École Le Sommet », en ligne : <http://www2.gnb.ca/content/gnb/fr/nouvelles/communique.2014.01.0032.html>.
32 Doucet-Boudreau, supra note 19 au para 4.
33 Voir (2000), 185 NSR (2d) 246.
34 Doucet-Boudreau, supra note 19 au para 5.
35 Ibid aux para 5 et 7.
36 Ibid au para 9.
37 Ibid.
38 Ibid au para 12.
39 Mills c La Reine, [1986] 1 RCS 863 aux pp 965-66, cité dans Doucet-Boudreau, supra note 19 aux para 50 et 52.
40 Doucet, « Glenda Doucet-Boudreau », supra note 23 à la p 339.
41 Ibid à la p 337.
42 Doucet-Boudreau, supra note 19 au para 55.
43 Doucet-Boudreau, supra note 19 au para 88.
44 Doucet, « Glenda Doucet-Boudreau », supra note 23 à la p 341.
45 2004 NLSCTD 89, 237 Nfld. & P.E.I.R. 146 [Chubbs].
46 Ibid au para 10.
47 Ibid au para 17.
48 Ibid au para 19.
49 Ibid aux para 30 et 33.
50 Ibid au para 51.
51 Mahé, supra note 1 à la p 85, cité dans Chubbs, ibid au para 54.
52 Chubbs, supra note 45 au para 53.
53 Mahé, supra note 1 à la p 84, cité dans Chubbs, ibid au para 54.
54 Chubbs, supra note 45 au para 55.
55 2005 CSC 14, [2005] 1 RCS 201 [Solski].
56 Ibid au para 25.
57 Ibid au para 30.
58 Ibid au para 27.
59 Ibid au para 35.
60 Ibid au para 37.
61 Ibid aux para 39-45.
62 Société des Acadiens du N.-B. et al c Minority Language School Board No. 50 (1983), 48 RNB (2e) 361, [1983] AN-B no 245 (QL).
63 Solski, supra note 55 au para 50.
64 Ibid.