La partie VII de la Loi sur les langues officielles : écueils surmontés et enjeux à venir
INTRODUCTION
Michel Doucet a joué un rôle d’avant-garde dans l’avancement des droits linguistiques par la voie judiciaire, ayant plaidé nombreuses causes marquantes à ce chapitre1. Par exemple, il accepte en 2003 (avec ses collègues Jean-Marc Gauvin et Mark Power) de représenter la Société des Acadiens et des Acadiennes du Nouveau-Brunswick (« SAANB ») à titre d’intervenante dans le cadre d’un recours intenté par le Forum des maires de la péninsule acadienne (le Forum), qui cherche à faire valoir les droits de la communauté acadienne de Shippagan, notamment en ce qui concerne la Partie VII de laLoi sur les langues officielles (LLO)2, dont la portée n’avait toujours pas été définie par les tribunaux. Ce dossier, qui se rendra jusqu’à la Cour suprême du Canada3, contribuera de façon importante à l’évolution du droit—bien que ce soit, comme nous le verrons plus loin, la voie législative qui vint clore le débat sur la portée de la Partie VII. Le présent texte a pour but de souligner la contribution de la SAANB au débat judiciaire, ainsi que de faire le point sur les enjeux actuels et à venir en ce qui concerne l’interprétation de la Partie VII de la LLO.
I – CONTEXTE
Adoptée dans le cadre de la refonte de la LLO en 1988, la Partie VII avait pour but d’élargir la portée de cette loi en incitant les institutions fédérales à contribuer plus directement au maintien et au développement des communautés de langue officielle en situation minoritaire (CLOSM). La disposition-clé à cet égard était l’article 41, qui se lisait comme suit :
41. Le gouvernement fédéral s’engage à favoriser l’épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada et à appuyer leur développement, ainsi qu’à promouvoir la pleine reconnaissance et l’usage du français et de l’anglais dans la société canadienne. | 41. The Government of Canada is committed to (a) enhancing the vitality of the English and French linguistic minority communities in Canada and supporting and assisting their development; and (b) fostering the full recognition and use of both English and French in Canadian society. |
En 2001, lorsque le Forum intente son recours, l’effet juridique de cette disposition fait l’objet d’un débat important. Entre autres, les avis sont partagés sur la question de savoir si le non-respect de l’article 41 ouvre la porte à un recours judiciaire. L’incertitude à cet égard tient en partie au libellé de l’article 41, qui selon certains n’énoncerait pas de norme justiciable.
À première vue, comme l’avait d’ailleurs souligné le ministre de la Justice devant la Chambre des communes, « la langue dont on parle dans la partie VII est la langue d’encouragement. Ce n’est pas la langue de commande [sic] »4. Le gouvernement fédéral s’appuiera sur cette déclaration pour prétendre que l’article 41 ne confère aucun droit pouvant fonder une action en justice5, et certains experts seront prêts à lui donner raison6. D’autres toutefois seront d’avis que l’article 41 est « exécutoire »7, et plusieurs manifesteront leur insatisfaction à l’égard des mesures prises par les institutions fédérales à ce chapitre. Selon la Commissaire aux langues officielles, l’incertitude qui plane sur la nature des obligations découlant de l’article 41 conduit à un certain immobilisme de la part de l’appareil fédéral, qui ne sait quelles mesures adopter pour s’acquitter de ses obligations, s’il en est8.
Afin de corriger la situation, le sénateur franco-ontarien Jean-Robert Gauthier déposera dès 2001 un projet de loi visant à clarifier l’état du droit à cet égard. Le sénateur Gauthier se dit d’avis que l’article 41 est « exécutoire » – c’est-à-dire qu’il impose des obligations juridiques contraignantes – mais craint que l’ambiguïté de la disposition n’incite les tribunaux à trancher dans le sens contraire. Il propose donc certaines modifications à la LLO visant à « clarifier » (plutôt que de changer) ce qu’il estime être la portée juridique réelle de l’article 41. Or, alors que la première mouture de son projet de loi est devant le Sénat, le Forum intente son recours judiciaire, dont l’issu viendra malheureusement confirmer les craintes du sénateur Gauthier.
À première vue, comme l’avait d’ailleurs souligné le ministre de la Justice devant la Chambre des communes, « la langue dont on parle dans la partie VII est la langue d’encouragement. Ce n’est pas la langue de commande [sic] »4. Le gouvernement fédéral s’appuiera sur cette déclaration pour prétendre que l’article 41 ne confère aucun droit pouvant fonder une action en justice5, et certains experts seront prêts à lui donner raison6. D’autres toutefois seront d’avis que l’article 41 est « exécutoire »7, et plusieurs manifesteront leur insatisfaction à l’égard des mesures prises par les institutions fédérales à ce chapitre. Selon la Commissaire aux langues officielles, l’incertitude qui plane sur la nature des obligations découlant de l’article 41 conduit à un certain immobilisme de la part de l’appareil fédéral, qui ne sait quelles mesures adopter pour s’acquitter de ses obligations, s’il en est8.
Afin de corriger la situation, le sénateur franco-ontarien Jean-Robert Gauthier déposera dès 2001 un projet de loi visant à clarifier l’état du droit à cet égard. Le sénateur Gauthier se dit d’avis que l’article 41 est « exécutoire » – c’est-à-dire qu’il impose des obligations juridiques contraignantes – mais craint que l’ambiguïté de la disposition n’incite les tribunaux à trancher dans le sens contraire. Il propose donc certaines modifications à la LLO visant à « clarifier » (plutôt que de changer) ce qu’il estime être la portée juridique réelle de l’article 41. Or, alors que la première mouture de son projet de loi est devant le Sénat, le Forum intente son recours judiciaire, dont l’issu viendra malheureusement confirmer les craintes du sénateur Gauthier.
II – L’AFFAIRE FORUM DES MAIRES
En 1999, le Forum dépose une plainte auprès de la Commissaire aux langues officielles au sujet d’une réorganisation administrative effectuée par l’Agence canadienne d’inspection des aliments (« l’Agence ») au Nouveau-Brunswick. Cette dernière avait muté quatre postes bien rémunérés, à durée indéterminée, de Shippagan à Shédiac et avait confié la supervision du bureau d’inspection de la péninsule acadienne à un gestionnaire unilingue anglophone. Selon le Forum, la démarche de l’Agence contrevient aux Parties IV et VII de la LLO. Outre leur effet direct sur les services de langue française et la langue de travail, ces décisions s’inscrivent dans une tendance pluriannuelle visant à diminuer les effectifs au bureau de Shippagan. Dans sa plainte, le Forum souligne la pauvreté et le manque de dynamisme économique relatifs de cette région, et donc l’importance particulière des postes en question au développement de sa communauté francophone.
La commissaire jugera que la plainte est fondée. En plus de conclure que l’Agence a contrevenu à ses obligations en vertu de la Partie IV de la LLO, la commissaire conclut que celle-ci n’avait pas respecté ses obligations en vertu de la Partie VII. Selon elle, l’article 41 de la LLO impose à l’Agence l’obligation de consulter la communauté francophone de la péninsule avant de prendre une décision pouvant avoir une incidence importante sur son développement, ce qui n’avait pas été fait en l’espèce. La commissaire émet plusieurs recommandations visant à remédier à la situation.
Au final, toutefois, le Forum sera insatisfait des mesures prises par l’Agence en réponse au rapport de la commissaire. Il intente donc un recours devant la Cour fédérale en vertu de la Partie X de la LLO9, alléguant que l’Agence a contrevenu aux Parties IV et VII de la loi. En réponse, l’Agence soulève plusieurs moyens visant à faire rejeter la demande du Forum, notamment : (1) que la Cour n’a pas compétence pour entendre une demande fondée sur les dispositions de la Partie VII dans le cadre d’un recours intenté en vertu de la Partie X; (2) que la Partie VII n’impose aucune obligation susceptible d’être sanctionnée par les tribunaux; et enfin, (3) que la Cour doit faire preuve de retenue face à toute décision relative à la mise en œuvre de la Partie VII en raison de son caractère politique et polycentrique. Néanmoins, la Cour fédérale accueillera la demande du Forum. Le juge Blais donne raison en partie à l’Agence, car il conclut que la Partie X ne lui accorde pas la compétence d’entendre un recours fondé sur la Partie VII. Toutefois, il juge que la demande est néanmoins recevable en tant que demande de contrôle judiciaire en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les cours fédérales. Au final, le juge Blais tranchera en faveur du Forum sur le fond, statuant que l’Agence n’a pas respecté la Partie VII parce qu’elle n’a pas consulté la communauté francophone avant de prendre sa décision.
L’Agence interjette appel contre la décision du juge Blais et son pourvoi est accueilli en partie. En ce qui concerne la Partie IV, la Cour d’appel fédérale confirme la décision du juge Blais qu’il y a eu violation, mais elle infirme son ordonnance de réparation, estimant que la mesure ordonnée (le rétablissement des postes à Shippagan) n’était pas justifiée eu égard à la preuve, laquelle démontrait plutôt que l’Agence était désormais en mesure d’assurer un niveau de services adéquat en français dans la région, et ce, malgré le non-rétablissement des postes mutés à Shédiac. La Cour d’appel fédérale a également infirmé les conclusions du juge Blais en ce qui concerne la Partie VII de la LLO et la nature du recours intenté par le Forum10, questions dont nous traiterons ci-dessous.
La commissaire jugera que la plainte est fondée. En plus de conclure que l’Agence a contrevenu à ses obligations en vertu de la Partie IV de la LLO, la commissaire conclut que celle-ci n’avait pas respecté ses obligations en vertu de la Partie VII. Selon elle, l’article 41 de la LLO impose à l’Agence l’obligation de consulter la communauté francophone de la péninsule avant de prendre une décision pouvant avoir une incidence importante sur son développement, ce qui n’avait pas été fait en l’espèce. La commissaire émet plusieurs recommandations visant à remédier à la situation.
Au final, toutefois, le Forum sera insatisfait des mesures prises par l’Agence en réponse au rapport de la commissaire. Il intente donc un recours devant la Cour fédérale en vertu de la Partie X de la LLO9, alléguant que l’Agence a contrevenu aux Parties IV et VII de la loi. En réponse, l’Agence soulève plusieurs moyens visant à faire rejeter la demande du Forum, notamment : (1) que la Cour n’a pas compétence pour entendre une demande fondée sur les dispositions de la Partie VII dans le cadre d’un recours intenté en vertu de la Partie X; (2) que la Partie VII n’impose aucune obligation susceptible d’être sanctionnée par les tribunaux; et enfin, (3) que la Cour doit faire preuve de retenue face à toute décision relative à la mise en œuvre de la Partie VII en raison de son caractère politique et polycentrique. Néanmoins, la Cour fédérale accueillera la demande du Forum. Le juge Blais donne raison en partie à l’Agence, car il conclut que la Partie X ne lui accorde pas la compétence d’entendre un recours fondé sur la Partie VII. Toutefois, il juge que la demande est néanmoins recevable en tant que demande de contrôle judiciaire en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les cours fédérales. Au final, le juge Blais tranchera en faveur du Forum sur le fond, statuant que l’Agence n’a pas respecté la Partie VII parce qu’elle n’a pas consulté la communauté francophone avant de prendre sa décision.
L’Agence interjette appel contre la décision du juge Blais et son pourvoi est accueilli en partie. En ce qui concerne la Partie IV, la Cour d’appel fédérale confirme la décision du juge Blais qu’il y a eu violation, mais elle infirme son ordonnance de réparation, estimant que la mesure ordonnée (le rétablissement des postes à Shippagan) n’était pas justifiée eu égard à la preuve, laquelle démontrait plutôt que l’Agence était désormais en mesure d’assurer un niveau de services adéquat en français dans la région, et ce, malgré le non-rétablissement des postes mutés à Shédiac. La Cour d’appel fédérale a également infirmé les conclusions du juge Blais en ce qui concerne la Partie VII de la LLO et la nature du recours intenté par le Forum10, questions dont nous traiterons ci-dessous.
III – LA NATURE DU RECOURS
En ce qui a trait à la Partie VII, le juge Décary, au nom d’une cour unanime, se penche d’abord sur la recevabilité du recours intenté par le Forum. Celle-ci peut être remise en question puisque, à cette époque, les recours fondés sur la Partie VII n’étaient pas explicitement autorisés comme ils le sont depuis 2005. Le droit d’intenter un recours devant la Cour fédérale est prévu au paragraphe 77(1) de la LLO, et il s’agit d’un droit limité, qui (à l’époque) ne peut être exercé que dans le cas d’une atteinte aux articles 4 à 7, 10 à 13 et 91 de la loi ou aux Parties IV et V de la LLO11.
En première instance, le juge Blais avait esquivé ce problème en assimilant le recours du Forum à une demande de contrôle judiciaire fondée sur l’article 18.1 de la Loi sur les cours fédérales, recours qui n’est pas limité de la même façon que celui prévu à la Partie X (mais qui en contrepartie ne donne pas accès aux mêmes réparations). Cette conclusion était pour sa part fondée sur l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dansDevinat c. Canada (Immigration and Refugee Board)12, dans lequel on avait jugé recevable une demande de contrôle judiciaire en vertu de l’article 18.1 fondée sur l’article 20 de la LLO, qui se trouve lui aussi exclu du paragraphe 77(1).
Toutefois, la décision du juge Blais à cet égard semble avoir été fondée sur une erreur quant à la nature du recours intenté par le Forum. À la différence du demandeur dans l’affaire Devinat, le Forum s’était appuyé uniquement sur la Partie X de la LLO et n’avait pas invoqué la compétence de la Cour fédérale en matière de contrôle judiciaire. Le juge Décary, au nom de la Cour d’appel fédérale, constatera donc – avec raison selon nous – que le juge Blais avait erré en assimilant le recours du Forum à une demande de contrôle judiciaire13.
Dans un passage faisant désormais jurisprudence14, le juge Décary fait ressortir les importantes différences qui distinguent un contrôle judiciaire du recours prévu au paragraphe 77(1) de la LLO et qui justifient qu’ils soient considérés comme des recours distincts. Entre autres, le juge Décary souligne (1) que, à la différence d’un contrôle judiciaire, le recours intenté en vertu de la Partie X n’a pour objet de vérifier ni le bien-fondé du rapport du Commissaire, qui n’est d’ailleurs pas un tribunal administratif, ni de s’attaquer à la « décision » de l’institution fédérale visée, mais plutôt de faire valider le bien-fondé de la plainte à titre de recours de novo; et (2) que le recours prévu à la Partie X n’est pas soumis aux mêmes exigences relatives à la qualité pour agir qu’une demande de contrôle judiciaire15. Celui-ci ne peut normalement être demandé que par une personne dont les intérêts sont touchés directement par la décision visée16, alors que la LLO accorde effectivement la qualité pour agir à tout membre du public17. Dans le même ordre d’idées, on pourrait également souligner les nombreuses différences de part et d’autre quant aux éléments de preuve recevables. Par dérogation aux règles de preuve ordinaire, le rapport du Commissaire est recevable en tant qu’élément de preuve18. En outre, à la différence d’un contrôle judiciaire, le juge saisi d’un recours en vertu de la Partie X peut considérer des éléments de preuve qui n’étaient pas devant le Commissaire, y compris des éléments découlant de plaintes autres que celles du plaignant19.
En première instance, le juge Blais avait esquivé ce problème en assimilant le recours du Forum à une demande de contrôle judiciaire fondée sur l’article 18.1 de la Loi sur les cours fédérales, recours qui n’est pas limité de la même façon que celui prévu à la Partie X (mais qui en contrepartie ne donne pas accès aux mêmes réparations). Cette conclusion était pour sa part fondée sur l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dansDevinat c. Canada (Immigration and Refugee Board)12, dans lequel on avait jugé recevable une demande de contrôle judiciaire en vertu de l’article 18.1 fondée sur l’article 20 de la LLO, qui se trouve lui aussi exclu du paragraphe 77(1).
Toutefois, la décision du juge Blais à cet égard semble avoir été fondée sur une erreur quant à la nature du recours intenté par le Forum. À la différence du demandeur dans l’affaire Devinat, le Forum s’était appuyé uniquement sur la Partie X de la LLO et n’avait pas invoqué la compétence de la Cour fédérale en matière de contrôle judiciaire. Le juge Décary, au nom de la Cour d’appel fédérale, constatera donc – avec raison selon nous – que le juge Blais avait erré en assimilant le recours du Forum à une demande de contrôle judiciaire13.
Dans un passage faisant désormais jurisprudence14, le juge Décary fait ressortir les importantes différences qui distinguent un contrôle judiciaire du recours prévu au paragraphe 77(1) de la LLO et qui justifient qu’ils soient considérés comme des recours distincts. Entre autres, le juge Décary souligne (1) que, à la différence d’un contrôle judiciaire, le recours intenté en vertu de la Partie X n’a pour objet de vérifier ni le bien-fondé du rapport du Commissaire, qui n’est d’ailleurs pas un tribunal administratif, ni de s’attaquer à la « décision » de l’institution fédérale visée, mais plutôt de faire valider le bien-fondé de la plainte à titre de recours de novo; et (2) que le recours prévu à la Partie X n’est pas soumis aux mêmes exigences relatives à la qualité pour agir qu’une demande de contrôle judiciaire15. Celui-ci ne peut normalement être demandé que par une personne dont les intérêts sont touchés directement par la décision visée16, alors que la LLO accorde effectivement la qualité pour agir à tout membre du public17. Dans le même ordre d’idées, on pourrait également souligner les nombreuses différences de part et d’autre quant aux éléments de preuve recevables. Par dérogation aux règles de preuve ordinaire, le rapport du Commissaire est recevable en tant qu’élément de preuve18. En outre, à la différence d’un contrôle judiciaire, le juge saisi d’un recours en vertu de la Partie X peut considérer des éléments de preuve qui n’étaient pas devant le Commissaire, y compris des éléments découlant de plaintes autres que celles du plaignant19.
IV – LE CARACTÈRE JUSTICIABLE DE L’ARTICLE 41
Aussi importe-il de distinguer entre le recours intenté par le Forum et celui dont il était question dans l’arrêt Devinat, car le premier n’a pas été présenté sous la forme d’une demande contrôle judiciaire. Selon le juge Décary, cette seule distinction permettrait de rejeter tout moyen fondé sur la Partie VII20 . Or, il décidera tout de même de se pencher sur la question de fond soulevée par le Forum en ce qui concerne la portée de l’article 41 de la LLO. Puisque le juge de première instance avait traité la demande comme si elle était, en partie, une demande de contrôle judiciaire visant la Partie VII, le juge Décary lui emboîte le pas à cet égard21. Toutefois, la Cour d’appel fédérale cassera les conclusions du juge Blais en ce qui concerne l’effet juridique de l’article 41.
D’entrée de jeu, il faut souligner que l’analyse de cette disposition par le juge Blais avait été des plus sommaires. Ce dernier semble avoir rejeté la prétention du procureur général du Canada (PGC), selon laquelle l’engagement prévu à l’article 41 serait uniquement de nature politique, en s’appuyant sur le fait que l’Agence avait reconnu avoir contrevenu aux exigences de la Partie VII, aveu constituant selon le juge Blais une reconnaissance implicite que l’article 41 impose une obligation contraignante22. La Cour d’appel fédérale, en revanche, avalisera l’hypothèse du PGC. Entre autres, elle statuera que l’article 41 « à sa face même, n’est qu’un engagement politique », et que la décision du législateur d’exclure la Partie VII de la portée du recours judiciaire prévu à la Partie X témoigne de son intention « d’exclure ces champs de l’intervention judiciaire »23.
Or, deux points méritent d’être souligné à cet égard. Premièrement, comme nous l’expliquerons plus loin, les motifs du juge Décary ne donnent aucune réponse à l’argument présenté par le Forum et la SAANB en faveur de la conclusion contraire. Deuxièmement, pour parvenir à cette conclusion, la Cour d’appel fédérale s’est contredit, en ce qu’elle a confondu la portée du recours prévu à la Partie X avec la portée d’un contrôle judiciaire, erreur qu’elle avait justement reprochée à la Cour fédérale.
D’entrée de jeu, il faut souligner que l’analyse de cette disposition par le juge Blais avait été des plus sommaires. Ce dernier semble avoir rejeté la prétention du procureur général du Canada (PGC), selon laquelle l’engagement prévu à l’article 41 serait uniquement de nature politique, en s’appuyant sur le fait que l’Agence avait reconnu avoir contrevenu aux exigences de la Partie VII, aveu constituant selon le juge Blais une reconnaissance implicite que l’article 41 impose une obligation contraignante22. La Cour d’appel fédérale, en revanche, avalisera l’hypothèse du PGC. Entre autres, elle statuera que l’article 41 « à sa face même, n’est qu’un engagement politique », et que la décision du législateur d’exclure la Partie VII de la portée du recours judiciaire prévu à la Partie X témoigne de son intention « d’exclure ces champs de l’intervention judiciaire »23.
Or, deux points méritent d’être souligné à cet égard. Premièrement, comme nous l’expliquerons plus loin, les motifs du juge Décary ne donnent aucune réponse à l’argument présenté par le Forum et la SAANB en faveur de la conclusion contraire. Deuxièmement, pour parvenir à cette conclusion, la Cour d’appel fédérale s’est contredit, en ce qu’elle a confondu la portée du recours prévu à la Partie X avec la portée d’un contrôle judiciaire, erreur qu’elle avait justement reprochée à la Cour fédérale.
V – L’ARGUMENT PRÉSENTÉ PAR LE FORUM ET LA SANB
Les prétentions du Forum et de la SANB en ce qui a trait à l’article 41 sont ancrées dans la structure et l’économie générale de la Partie VII. Selon eux, bien que le libellé de l’article 41 donne lieu à une certaine ambiguïté sur la question de savoir si le législateur entendait imposer une obligation exécutoire aux institutions fédérales, cette ambiguïté disparaît si l’on tient compte des articles 42 et 43.
Tant l’article 42 que l’article 43 impose explicitement des obligations au ministre du Patrimoine canadien, comme le reconnaîtra d’ailleurs la Cour d’appel fédérale24 : dans le cas de l’article 42, l’obligation de susciter et d’encourager la mise en œuvre par les institutions fédérales de l’engagement énoncé à l’article 41; dans le cas du paragraphe 43(1), celle de prendre « les mesures qu’il estime indiquées pour favoriser la progression vers l’égalité de statut et d’usage du français et de l’anglais dans la société canadienne ». Le caractère contraignant de ces dispositions est renforcé par l’usage, dans la version anglaise du texte, du terme « shall », qui traduit en général l’intention du législateur d’imposer une obligation plutôt que de conférer un pouvoir discrétionnaire25.
Or, comme le soulignera la SANB, l’obligation de coordination imposée par l’article 42 au ministre du Patrimoine canadien suppose que les autres institutions fédérales, prises individuellement, soient soumises à une obligation préalable de prendre des mesures pour mettre en œuvre l’engagement énoncé à l’article 41. S’il n’y a aucune obligation d’agir de leur part, il serait futile d’imposer une obligation de coordonner leurs activités. De fait, il y a lieu de souligner à cet égard que les représentants du PGC avaient déjà reconnu devant le Sénat que l’article 41 impose une obligation d’agir qui pourrait faire l’objet d’un contrôle judiciaire26, bien qu’ils aient défendu une position différente devant les tribunaux. Le paragraphe 43(1), pour sa part, vient renforcer cette hypothèse, car il impose au ministre du Patrimoine des obligations plus détaillées concernant la mise en œuvre de l’engagement énoncé à l’article 4127.
Tant l’article 42 que l’article 43 impose explicitement des obligations au ministre du Patrimoine canadien, comme le reconnaîtra d’ailleurs la Cour d’appel fédérale24 : dans le cas de l’article 42, l’obligation de susciter et d’encourager la mise en œuvre par les institutions fédérales de l’engagement énoncé à l’article 41; dans le cas du paragraphe 43(1), celle de prendre « les mesures qu’il estime indiquées pour favoriser la progression vers l’égalité de statut et d’usage du français et de l’anglais dans la société canadienne ». Le caractère contraignant de ces dispositions est renforcé par l’usage, dans la version anglaise du texte, du terme « shall », qui traduit en général l’intention du législateur d’imposer une obligation plutôt que de conférer un pouvoir discrétionnaire25.
Or, comme le soulignera la SANB, l’obligation de coordination imposée par l’article 42 au ministre du Patrimoine canadien suppose que les autres institutions fédérales, prises individuellement, soient soumises à une obligation préalable de prendre des mesures pour mettre en œuvre l’engagement énoncé à l’article 41. S’il n’y a aucune obligation d’agir de leur part, il serait futile d’imposer une obligation de coordonner leurs activités. De fait, il y a lieu de souligner à cet égard que les représentants du PGC avaient déjà reconnu devant le Sénat que l’article 41 impose une obligation d’agir qui pourrait faire l’objet d’un contrôle judiciaire26, bien qu’ils aient défendu une position différente devant les tribunaux. Le paragraphe 43(1), pour sa part, vient renforcer cette hypothèse, car il impose au ministre du Patrimoine des obligations plus détaillées concernant la mise en œuvre de l’engagement énoncé à l’article 4127.
VI – LES CONCLUSIONS DE LA COUR D’APPEL FÉDÉRALE
Néanmoins, comme nous l’avons déjà indiqué, la Cour d’appel fédérale ne verra dans l’article 41 qu’un engagement « politique » sans contenu juridique véritable. Sa conclusion à cet égard s’appuie dans un premier temps sur les différences entre l’article 41, qui parle d’« engagement », et les articles 42 et 43, où l’on retrouve le terme « shall » en anglais. Le juge Décary y voit une première indication que seuls les articles 42 et 43 imposent des obligations, encore qu’elles soient « des plus générales et vagues et se prêtent mal à l’exercice du pouvoir judiciaire »28. La cour contraste également le mot « appuyer » employé à l’article 41 et au paragraphe 2(b) de la LLO (lequel énonce un principe semblable29) avec le terme « assurer » (« ensure ») que l’on retrouve au paragraphe 2(a). Selon elle, contrairement au terme « assurer », le terme « appuyer » n’évoque pas « la notion d’une obligation légale »30.
Le juge Décary fait ensuite une observation qui est selon nous plutôt curieuse : il affirme que les dispositions qui permettent de fonder un recours en vertu de l’article 77 de la LLO ont ceci en commun qu’elles « visent des documents, des actes ou des activités précises, identifiés ou identifiables », donnant comme exemple la « prestation des services » ou « la langue de travail »31, ce qui les distinguerait de l’article 41, qui ne viserait pas des activités précises ou identifiables. Or, cette observation est d’une validité fort douteuse. La notion de « prestation de services », tout comme celle du « milieu de travail » au sein de la fonction publique, recouvre un vaste éventail d’activités et représente une partie très significative – pour ne pas dire la quasi-totalité – du champ d’action des institutions fédérales. Nous voyons difficilement comment les articles 22 ou 35 de la LLO se distinguent de la Partie VII par leur niveau de « précision » à cet égard.
Enfin, la cour juge que la position du Forum et de la SANB revient à demander une modification de la Partie X pour que la Partie VII y soit incorporée, alors que le législateur aurait choisi expressément de l’exclure de tout recours judiciaire32. Or, cette conclusion est manifestement erronée et contredit directement les conclusions de la même cour dans l’arrêt Devinat, avec lesquelles le juge Décary se dit d’accord.
L’erreur se situe à deux niveaux. Premièrement, la cour semble estomper la distinction entre les obligations qui sont justiciables dans le cadre d’un contrôle judiciaire et celles pouvant faire l’objet d’un recours intenté en vertu de la Partie X. Le juge Décary affirme d’entrée de jeu qu’il traitera des moyens fondés sur la Partie VII comme s’ils avaient été évoqués dans le cadre d’un contrôle judiciaire, mais son raisonnement en ce qui concerne le caractère justiciable de l’article 41 s’appuie uniquement sur des considérations liées au paragraphe 77(1) de la LLO. Plus précisément, sa conclusion que l’article 41 est non justiciable repose sur la prémisse que le législateur aurait choisi d’exclure du paragraphe 77(1) uniquement des obligations de cette nature. Or, il s’agit évidemment d’une logique fautive. L’erreur est d’autant plus grave qu’elle est manifestement contraire à l’arrêt Devinat. Comme l’avait souligné la même cour dans cet arrêt, le fait qu’une disposition ait été exclue du paragraphe 77(1) ne signifie pas pour autant que celle-ci n’a pas pour objet d’imposer une obligation justiciable. Plusieurs dispositions de la LLO qui sont exclues du paragraphe 77(1) imposent manifestement des obligations justiciables33 et peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les cours fédérales34.
Le juge Décary fait ensuite une observation qui est selon nous plutôt curieuse : il affirme que les dispositions qui permettent de fonder un recours en vertu de l’article 77 de la LLO ont ceci en commun qu’elles « visent des documents, des actes ou des activités précises, identifiés ou identifiables », donnant comme exemple la « prestation des services » ou « la langue de travail »31, ce qui les distinguerait de l’article 41, qui ne viserait pas des activités précises ou identifiables. Or, cette observation est d’une validité fort douteuse. La notion de « prestation de services », tout comme celle du « milieu de travail » au sein de la fonction publique, recouvre un vaste éventail d’activités et représente une partie très significative – pour ne pas dire la quasi-totalité – du champ d’action des institutions fédérales. Nous voyons difficilement comment les articles 22 ou 35 de la LLO se distinguent de la Partie VII par leur niveau de « précision » à cet égard.
Enfin, la cour juge que la position du Forum et de la SANB revient à demander une modification de la Partie X pour que la Partie VII y soit incorporée, alors que le législateur aurait choisi expressément de l’exclure de tout recours judiciaire32. Or, cette conclusion est manifestement erronée et contredit directement les conclusions de la même cour dans l’arrêt Devinat, avec lesquelles le juge Décary se dit d’accord.
L’erreur se situe à deux niveaux. Premièrement, la cour semble estomper la distinction entre les obligations qui sont justiciables dans le cadre d’un contrôle judiciaire et celles pouvant faire l’objet d’un recours intenté en vertu de la Partie X. Le juge Décary affirme d’entrée de jeu qu’il traitera des moyens fondés sur la Partie VII comme s’ils avaient été évoqués dans le cadre d’un contrôle judiciaire, mais son raisonnement en ce qui concerne le caractère justiciable de l’article 41 s’appuie uniquement sur des considérations liées au paragraphe 77(1) de la LLO. Plus précisément, sa conclusion que l’article 41 est non justiciable repose sur la prémisse que le législateur aurait choisi d’exclure du paragraphe 77(1) uniquement des obligations de cette nature. Or, il s’agit évidemment d’une logique fautive. L’erreur est d’autant plus grave qu’elle est manifestement contraire à l’arrêt Devinat. Comme l’avait souligné la même cour dans cet arrêt, le fait qu’une disposition ait été exclue du paragraphe 77(1) ne signifie pas pour autant que celle-ci n’a pas pour objet d’imposer une obligation justiciable. Plusieurs dispositions de la LLO qui sont exclues du paragraphe 77(1) imposent manifestement des obligations justiciables33 et peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les cours fédérales34.
VII – L’INTENTION DERRIÈRE LE PROJET DE LOI DU SÉNATEUR GAUTHIER
Il faut également souligner un autre défaut majeur à cet égard, à savoir la lecture incomplète et donc erronée que propose la Cour d’appel fédérale des débats législatifs ayant menés à la modification des parties VII et X de la LLO en 2005. Pour justifier sa conclusion voulant que l’article 41 est non justiciable, le juge Décary cherche à s’appuyer sur le fait que le sénateur Gauthier tente, comme nous l’avons souligné plu haut, de faire adopter depuis 2001 un projet de loi visant justement à régler cette question. Dans cette optique, le juge Décary cite le commentaire suivant qu’a fait le sénateur Gauthier dans le cadre des débats parlementaires portant sur son projet de loi :
Selon la Cour d’appel fédérale, ce passage démontre que le sénateur Gauthier est d’avis que l’article 41 n’impose aucune obligation susceptible d’être sanctionnée par les tribunaux et que c’est justement ce défaut que son projet de loi cherche à remédier. Malheureusement, cette conclusion repose sur une déformation du propos de M. Gauthier. Si l’on replace les commentaires précités dans le contexte global des débats législatifs sur son projet de loi et de la totalité des interventions du sénateur, il est évident que la cour les a mal interprétés.
Premièrement, il importe de souligner que le sénateur Gauthier avait dès le départ indiqué être d’avis que l’article 41 était exécutoire, et ce, depuis le moment de son adoption en 198836. Comme il l’indiqua à plusieurs reprises, son objectif en déposant son projet de loi était de « clarifier » que l’article 41 était exécutoire, démarche qui s’imposait selon lui puisque le gouvernement fédéral avait pris la position contraire37. Ainsi, le résumé de son projet de loi disait explicitement qu’il visait à « préciser » («clarify ») la portée de l’article 41, et non pas à le « modifier »38. Pour comble, au tout début du même discours cité par la Cour d’appel fédérale, le sénateur Gauthier avait dit ceci :
Il n’est donc pas surprenant que le sénateur Gauthier réagira à la décision de la Cour d’appel fédérale dans cette affaire pour exprimer son désaccord et sa déception face à l’interprétation de l’article 41 retenue par celle-ci40. De fait, le sénateur avait souvent indiqué souhaiter que les tribunaux interviennent pour confirmer le caractère « exécutoire » de cette disposition.
Par conséquent, il est évident que la Cour d’appel fédérale a eu tort de s’appuyer sur le commentaire précité pour appuyer sa conclusion à l’effet que l’article 41 était non justiciable. Le sénateur Gauthier cherchait plutôt à relever l’existence d’un défaut différent, à savoir le fait que la commissaire aux langues officielles ne pouvait (selon lui) assurer le même rôle d’appui dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire qu’elle pouvait jouer dans le cadre d’un recours intenté en vertu de la Partie X. Par conséquent, le coût d’une telle démarche incomberait entièrement aux particuliers, dont très peu en auraient les moyens. De fait, le sénateur Gauthier avait fait le commentaire suivant plus tôt dans le cadre des mêmes débats législatifs :
À notre avis, il est fort regrettable que la Cour d’appel fédérale ait tenté de justifier son interprétation restrictive de l’article 41 en s’appuyant sur les propos d’un des plus ardents défenseurs du point de vue contraire.
Présentement, aucun règlement ne régit la partie VII de la Loi sur les langues officielles. Par conséquent, il n’y en a aucun pour l’article 41. Une loi sans règlement est un chien de garde qui n’a pas de dents ou un chien de poche, comme on disait autrefois. Il faut donner à la loi un pouvoir exécutoire accompagné, bien sûr, de règlements. De plus, il faut permettre à la commissaire aux langues officielles d’intervenir dans tout recours aux termes de la partie VII, ce qui lui est défendu également en vertu de l’article 77(1). Elle ne peut pas nous aider et les communautés ne peuvent pas aller devant les tribunaux, parce que l’article 41 n’est pas judiciable [sic]. La commissaire aux langues officielles est donc écartée, et non de sa volonté propre, car c’est elle-même qui a recommandé que nous donnions du mordant à la loi afin qu’elle puisse nous aider. C’est ce que j’ai fait.35
Selon la Cour d’appel fédérale, ce passage démontre que le sénateur Gauthier est d’avis que l’article 41 n’impose aucune obligation susceptible d’être sanctionnée par les tribunaux et que c’est justement ce défaut que son projet de loi cherche à remédier. Malheureusement, cette conclusion repose sur une déformation du propos de M. Gauthier. Si l’on replace les commentaires précités dans le contexte global des débats législatifs sur son projet de loi et de la totalité des interventions du sénateur, il est évident que la cour les a mal interprétés.
Premièrement, il importe de souligner que le sénateur Gauthier avait dès le départ indiqué être d’avis que l’article 41 était exécutoire, et ce, depuis le moment de son adoption en 198836. Comme il l’indiqua à plusieurs reprises, son objectif en déposant son projet de loi était de « clarifier » que l’article 41 était exécutoire, démarche qui s’imposait selon lui puisque le gouvernement fédéral avait pris la position contraire37. Ainsi, le résumé de son projet de loi disait explicitement qu’il visait à « préciser » («clarify ») la portée de l’article 41, et non pas à le « modifier »38. Pour comble, au tout début du même discours cité par la Cour d’appel fédérale, le sénateur Gauthier avait dit ceci :
L’idée est d’ajouter ou de donner des dents a? la Loi sur les langues officielles qui, comme vous le savez, est interprétée depuis 1988 de différentes façons. Certains disent que l’interprétation est déclaratoire, que le libelle? n’est pas obligatoire. D’autres, comme moi et plusieurs dans cette Chambre, disent qu’au contraire, elle est exécutoire [nous soulignons]39.
Il n’est donc pas surprenant que le sénateur Gauthier réagira à la décision de la Cour d’appel fédérale dans cette affaire pour exprimer son désaccord et sa déception face à l’interprétation de l’article 41 retenue par celle-ci40. De fait, le sénateur avait souvent indiqué souhaiter que les tribunaux interviennent pour confirmer le caractère « exécutoire » de cette disposition.
Par conséquent, il est évident que la Cour d’appel fédérale a eu tort de s’appuyer sur le commentaire précité pour appuyer sa conclusion à l’effet que l’article 41 était non justiciable. Le sénateur Gauthier cherchait plutôt à relever l’existence d’un défaut différent, à savoir le fait que la commissaire aux langues officielles ne pouvait (selon lui) assurer le même rôle d’appui dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire qu’elle pouvait jouer dans le cadre d’un recours intenté en vertu de la Partie X. Par conséquent, le coût d’une telle démarche incomberait entièrement aux particuliers, dont très peu en auraient les moyens. De fait, le sénateur Gauthier avait fait le commentaire suivant plus tôt dans le cadre des mêmes débats législatifs :
Ce projet de loi est important, car il procède de la ne?cessite? [de remédier au fait qu’] on ne peut demander a? la commissaire aux langues officielles d’intervenir non plus, car l’article 77 ne pre?voit pas cette e?ventualite?, et celle-ci ne pourrait agir de toute fac?on, puisque la partie VII est exclue de l’article 77(1). C’est un peu complique?, mais c’est la re?alite?. [ U]n individu ou un groupe d’individus pourrait de?poser un recours devant la Division de premie?re instance de la Cour fe?de?rale. Pour ce faire, ils leur faudrait des ressources financie?res importantes — quasiment des poches sans fond —, des conseillers juridiques tre?s habiles et, en plus, une patience d’ange [nous soulignons]41.
À notre avis, il est fort regrettable que la Cour d’appel fédérale ait tenté de justifier son interprétation restrictive de l’article 41 en s’appuyant sur les propos d’un des plus ardents défenseurs du point de vue contraire.
VIII – LA MODIFICATION DE LA LLO ET LES ENJEUX ACTUELS
À la suite de la décision de la Cour d’appel fédérale, le Forum demandera l’autorisation d’interjeter appel devant la Cour suprême du Canada, demande qui sera accueillie, du moins dans un premier temps. Car, avant que le pourvoi ne soit entendu, le Parlement interviendra en adoptant le projet de loi du sénateur Gauthier, ce qui incitera la Cour suprême à revenir sur sa décision et de refuser d’entendre l’affaire. Dans sa forme finale, le projet de loi du sénateur était composé de deux éléments principaux. Premièrement, une modification de l’article 41 – désormais divisé en trois paragraphes – pour expliciter le fait qu’il impose l’obligation de mettre en œuvre l’engagement principal (qui demeure inchangé) à toute institution fédérale et non pas le seul ministère du Patrimoine. Deuxièmement, une modification à l’article 77(1) pour faire en sorte qu’un recours judiciaire puisse être désormais intenté en vertu de la Partie X en cas de manquement aux obligations énoncées à la Partie VII.
Les efforts du Forum et de la SANB auront sans doute joué un rôle important dans l’adoption de ce projet de loi en démontrant clairement la nécessité d’une modification à la loi pour faire en sorte que l’esprit de la Partie VII soit respecté. Malheureusement, les modifications apportées à la LLO ont eu assez peu d’effet sur la position du procureur général en ce qui concerne l’interprétation de l’article 41. Dans les litiges impliquant la Partie VII, celui-ci adopte toujours une position qui a pour effet de vider cette disposition de tout son sens42. Par exemple, dans l’affaire Picard, le PGC a prétendu que la Partie VII ne confère aucun « droit », et qu’elle impose plutôt une « obligation » dont la mise en œuvre serait laissée entièrement à la discrétion du gouvernement fédéral, dont les choix doivent recevoir une « grande déférence ». En outre, l’obligation en question incomberait au gouvernement fédéral dans son ensemble et non aux institutions individuelles. Par conséquent, les tribunaux seraient tenus de prendre en compte la totalité des activités entreprises par l’État fédéral dans la mise en œuvre de la Partie VII en décidant si une décision particulière y contrevient. En somme, selon le PGC, la Partie VII n’impose aucune « obligation précise » qui pourrait faire l’objet d’une ordonnance judiciaire43.
Or, si l’on retenait l’interprétation du PGC à cet égard44, cela nous ramènerait à l’état du droit suite à l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans Forum des maires, et l’article 41 serait à toutes fins pratiques non-exécutoire et non-justiciable. À notre avis, l’hypothèse du PGC doit être rejetée car elle est manifestement incompatible avec le texte et l’objet de la loi et l’intention du législateur en adoptant les modifications de 200545. À cet égard, deux points méritent d’être soulignés.
Premièrement, il importe de replacer l’article 41 dans son contexte pratique et législatif. Devant les tribunaux, les avocats du ministère de la Justice soulignent que l’article 41 emploie des termes plutôt abstraits qui (s’ils sont pris isolément) ne semblent pas imposer d’obligations particulières. Le PGC invite donc la cour à y voir une indication que le législateur n’avait pas l’intention d’imposer d’obligations précises à ce chapitre, et qu’il souhaitait plutôt que le choix de moyens pour mettre en œuvre les obligations découlant de l’article 41 soit laissé à l’entière discrétion des institutions visées. Or, une telle démarche interprétative omet de tenir compte du fait que l’article 41 énonce une norme qui doit s’appliquer à toutes les institutions fédérales, dont la mission, la structure et le cadre juridique varient énormément. Il serait impossible dans le cadre d’une seule disposition (ou même d’un ensemble de dispositions) d’énoncer des obligations particulières pour toutes les institutions fédérales. L’approche convenable est plutôt d’énoncer un principe général dont la portée doit être cernée au cas par cas en tenant compte du contexte législatif et pratique de chaque institution publique46. Comme l’a d’ailleurs souligné la Cour suprême du Canada, les normes de droit public à portée générale doivent être « suffisamment élastique[s] pour s’appliquer aux décisions de centaines de « types » différents de décideurs administratifs, du ministre au fonctionnaire le moins expérimenté, exerçant dans des contextes décisionnels variés les pouvoirs distincts qui leur sont conférés par des lois particulières »47. On ne peut donc pas déduire du fait que le législateur ait employé des termes à abstraits à l’article 41 n’avait pas l’intention d’imposer des obligations plus particulières d’agir.
Deuxièmement, il faut souligner que l’interprétation du PGC fait complètement fi des travaux législatifs ayant mené à l’adoption de la modification de l’article 41 en 2005. Il se dégage de ces travaux un consensus très clair à l’effet que la nouvelle version de l’article 41 imposerait des obligations d’agir précises dans des circonstances particulières48. Il s’agissait d’ailleurs de l’objectif du sénateur Gauthier, qui, lui, avait tenté de faire sanctionner certains manquements d’une agence fédérale, mais sans succès. Le sénateur Gauthier voulait justement faire adopter une mesure législative qui permettrait de contraindre une institution fédérale à agir de façon précise lorsque les faits, le contexte et la preuve montraient que le seul moyen raisonnable de favoriser l’épanouissement de la communauté ou d’appuyer son développement dans telle situation serait d’adopter la mesure voulue49.
La cause du Forum des maires de la péninsule acadienne et les efforts de M e Doucet ont fait progresser de façon importante l’évolution du droit en ce qui concerne la Partie VII. Malheureusement, en raison de la position adoptée par le PGC, il reste toujours beaucoup d’incertitude quant à la portée réelle de l’article 41. Une étude récente du comité sénatorial sur les langues officielles a de fait constaté que le manque de clarté en ce qui concerne la nature des obligations qui découlent de la partie VII entrave sa mise en œuvre au sein de plusieurs institutions parce qu’elles ne comprennent pas ce qu’elles sont censées faire50. À notre avis, ce problème ne disparaitra pas à moins que davantage de causes fondées sur la Partie VII soient portées devant les tribunaux. Il faut faire un usage plus agressif de celle-ci afin de générer un corpus de jurisprudence qui sera en mesure de mettre fin aux tergiversations du ministère public.
Les efforts du Forum et de la SANB auront sans doute joué un rôle important dans l’adoption de ce projet de loi en démontrant clairement la nécessité d’une modification à la loi pour faire en sorte que l’esprit de la Partie VII soit respecté. Malheureusement, les modifications apportées à la LLO ont eu assez peu d’effet sur la position du procureur général en ce qui concerne l’interprétation de l’article 41. Dans les litiges impliquant la Partie VII, celui-ci adopte toujours une position qui a pour effet de vider cette disposition de tout son sens42. Par exemple, dans l’affaire Picard, le PGC a prétendu que la Partie VII ne confère aucun « droit », et qu’elle impose plutôt une « obligation » dont la mise en œuvre serait laissée entièrement à la discrétion du gouvernement fédéral, dont les choix doivent recevoir une « grande déférence ». En outre, l’obligation en question incomberait au gouvernement fédéral dans son ensemble et non aux institutions individuelles. Par conséquent, les tribunaux seraient tenus de prendre en compte la totalité des activités entreprises par l’État fédéral dans la mise en œuvre de la Partie VII en décidant si une décision particulière y contrevient. En somme, selon le PGC, la Partie VII n’impose aucune « obligation précise » qui pourrait faire l’objet d’une ordonnance judiciaire43.
Or, si l’on retenait l’interprétation du PGC à cet égard44, cela nous ramènerait à l’état du droit suite à l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans Forum des maires, et l’article 41 serait à toutes fins pratiques non-exécutoire et non-justiciable. À notre avis, l’hypothèse du PGC doit être rejetée car elle est manifestement incompatible avec le texte et l’objet de la loi et l’intention du législateur en adoptant les modifications de 200545. À cet égard, deux points méritent d’être soulignés.
Premièrement, il importe de replacer l’article 41 dans son contexte pratique et législatif. Devant les tribunaux, les avocats du ministère de la Justice soulignent que l’article 41 emploie des termes plutôt abstraits qui (s’ils sont pris isolément) ne semblent pas imposer d’obligations particulières. Le PGC invite donc la cour à y voir une indication que le législateur n’avait pas l’intention d’imposer d’obligations précises à ce chapitre, et qu’il souhaitait plutôt que le choix de moyens pour mettre en œuvre les obligations découlant de l’article 41 soit laissé à l’entière discrétion des institutions visées. Or, une telle démarche interprétative omet de tenir compte du fait que l’article 41 énonce une norme qui doit s’appliquer à toutes les institutions fédérales, dont la mission, la structure et le cadre juridique varient énormément. Il serait impossible dans le cadre d’une seule disposition (ou même d’un ensemble de dispositions) d’énoncer des obligations particulières pour toutes les institutions fédérales. L’approche convenable est plutôt d’énoncer un principe général dont la portée doit être cernée au cas par cas en tenant compte du contexte législatif et pratique de chaque institution publique46. Comme l’a d’ailleurs souligné la Cour suprême du Canada, les normes de droit public à portée générale doivent être « suffisamment élastique[s] pour s’appliquer aux décisions de centaines de « types » différents de décideurs administratifs, du ministre au fonctionnaire le moins expérimenté, exerçant dans des contextes décisionnels variés les pouvoirs distincts qui leur sont conférés par des lois particulières »47. On ne peut donc pas déduire du fait que le législateur ait employé des termes à abstraits à l’article 41 n’avait pas l’intention d’imposer des obligations plus particulières d’agir.
Deuxièmement, il faut souligner que l’interprétation du PGC fait complètement fi des travaux législatifs ayant mené à l’adoption de la modification de l’article 41 en 2005. Il se dégage de ces travaux un consensus très clair à l’effet que la nouvelle version de l’article 41 imposerait des obligations d’agir précises dans des circonstances particulières48. Il s’agissait d’ailleurs de l’objectif du sénateur Gauthier, qui, lui, avait tenté de faire sanctionner certains manquements d’une agence fédérale, mais sans succès. Le sénateur Gauthier voulait justement faire adopter une mesure législative qui permettrait de contraindre une institution fédérale à agir de façon précise lorsque les faits, le contexte et la preuve montraient que le seul moyen raisonnable de favoriser l’épanouissement de la communauté ou d’appuyer son développement dans telle situation serait d’adopter la mesure voulue49.
CONCLUSION
La cause du Forum des maires de la péninsule acadienne et les efforts de M e Doucet ont fait progresser de façon importante l’évolution du droit en ce qui concerne la Partie VII. Malheureusement, en raison de la position adoptée par le PGC, il reste toujours beaucoup d’incertitude quant à la portée réelle de l’article 41. Une étude récente du comité sénatorial sur les langues officielles a de fait constaté que le manque de clarté en ce qui concerne la nature des obligations qui découlent de la partie VII entrave sa mise en œuvre au sein de plusieurs institutions parce qu’elles ne comprennent pas ce qu’elles sont censées faire50. À notre avis, ce problème ne disparaitra pas à moins que davantage de causes fondées sur la Partie VII soient portées devant les tribunaux. Il faut faire un usage plus agressif de celle-ci afin de générer un corpus de jurisprudence qui sera en mesure de mettre fin aux tergiversations du ministère public.
* Professeur et directeur de l’Observatoire international des droits linguistiques de la Faculté de droit de l’Université de Moncton.
1 Doucet-Boudreau c Nouvelle-Écosse (Ministre de l’Éducation) , 2003 CSC 62, [2003] 3 RCS 3; Solski (Tuteur de) c Québec (Procureur général), [2005] 1 RCS 201; Charlebois c Saint John (Ville), 2005 CSC 14, [2005] 3 RCS 563; Forum des maires de la Péninsule acadienne c Canada (Agence d’inspection des aliments) , 2005 CSC 85, [2005] 3 RCS 906; Société des Acadiens et Acadiennes du Nouveau-Brunswick Inc. c Canada , 2008 CSC 15, [2008] 1 RCS 383; R c Caron, 2011 CSC 5, [2011] 1 RCS 78; Halifax (Regional Municipality) c Nouvelle-Écosse (Human Rights Commission) , 2012 CSC 10, [2012] 1 RCS 364; Caron c Alberta, 2015 CSC 56, [2015] 3 RCS 511.
2 LRC 1985, c 31 (4e suppl) [LLO].
3 La Cour suprême autorisera le pourvoi du Forum contre la décision défavorable de la Cour d’appel fédérale : Forum des maires de la Péninsule acadienne c Canada (Agence Canadienne d’Inspection des Aliments) , [2005] 1 RCS ix. Toutefois, cette autorisation sera retirée lorsque le Parlement modifiera la LLO de telle sorte à ce que le litige soit devenu caduc : [2005] 3 RCS 906.
4 Linda Cardinal, Étude du projet de Loi S-3. Présenté au Comité permanent des langues officielles de la Chambre des Communes du Canada , Ottawa (Ont), 2015 aux pp 4-5.
5 Sénat du Canada, La mise en œuvre de la Partie VII de la Loi sur les langues officielles?: on peut faire encore mieux , Ottawa (Ont), Sénat du Canada, 2010 à la p 3.
6 Par exemple, la professeure Ruth Sullivan et le professeur Joseph Magnet exprimeront un point de vue semblable devant le Comité permanent sur les affaires juridiques et constitutionnelles du Sénat lorsque celui-ci se penchera sur le projet de loi du Sénateur Gauthier visant à modifier la Partie VII. La commissaire aux langues officielles, pour sa part, reconnaîtra l’ambiguïté de l’article 41 à cet égard : Sénat du Canada, « Délibérations du Comité sénatorial permanent des Affaires juridiques et constitutionnelles. 1re sess, 37e leg, 2001. Fascicule no 26 : PL S-32, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles (promotion du français et de l’anglais) » 6-7 [Délibérations du Comité sénatorial, PL S-32].
7 Voir, par exemple, Michel Bastarache et Andréa Ouellet, La portée juridique de la partie VII de la Loi sur les langues officielles du Canada , Ottawa, maison d’édition inconnue, 1991.
8 Délibérations du Comité sénatorial , PL S-32, no 26, supra note 6 aux pp 5-6.
9 Le paragraphe 77(1) de la LLO, supra note 2, prévoit que « Quiconque a saisi le commissaire d’une plainte visant une obligation ou un droit prévus aux articles 4 à 7 et 10 à 13 ou aux parties IV, V, ou VII, ou fondée sur l’article 91, peut former un recours devant le tribunal sous le régime de la [partie X] ». Le tribunal saisi d’un tel recours peut « accorder la réparation qu’il estime convenable et juste eu égard aux circonstances » (para 77(4) de la LLO).
10 De fait, ce facteur a contribué à sa conclusion relative à la réparation. Voir Forum des maires de la Péninsule acadienne c Canada (Agence d’inspection des aliments) , 2004 CAF 263, [2004] 4 CF 276 au para 60 [ Forum des maires, Cour d’appel fédérale].
11 Il faut souligner que cette disposition sera modifiée par la suite pour combler cette lacune, comme nous l’expliquerons plus loin.
12 [2000] 2 CF 212, 181 DLR (4th) 441.
13 Forum des maires , Cour d’appel fédérale, supra note 10 au para 15.
14 Voir DesRochers c Canada (Industrie), 2009 CSC 8, [2009] 1 RCS 194 au para 32.
15 Forum des maires , Cour d’appel fédérale, supra note 10 aux para 18-20.
16 Voir le paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7.
17 LLO , supra note 2, art 58(2).
18 Thibodeau c Air Canada (C.F.) , 2005 CF 1156, [2006] 2 RCF 70 aux para 52-53.
19 Forum des maires , Cour d’appel fédérale, supra note 10 aux para 16-21. Voir également l’article 79 de la LLO, supra note 2.
20 Forum des maires , Cour d’appel fédérale, ibid au para 31.
21 Ibid au para 32.
22 Forum des maires de la Péninsule acadienne c Canada (Agence Canadienne d’Inspection des Aliments) , 2003 CF 1048, [2004] 1 RCF 136 aux para 45-52 [ Forum des maires, Cour fédérale].
23 Forum des maires , Cour d’appel fédérale, supra note 10 au para 38.
24 Ibid au para 35.
25 R c Johnson , 2003 CSC 46, [2003] 2 RCS 357 au para 16.
26 Délibérations du Comité sénatorial , PL S-32, supra note 6 à la p 18.
27 Ce constat est appuyé par l’intitulé de la version anglaise de l’article 43, « Specific mandate of the Minister of Canadian Heritage ». Ce libellé communique l’idée que l’article 43 précise, pour ce qui est du ministre, le contenu d’une obligation à portée plus générale. Or, la seule source d’une telle obligation générale serait l’article 41.
28 Forum des maires , Cour d’appel fédérale, supra note 10 aux para 33-35.
29 L’article 2 prévoit comme suit : 2. La présente loi a pour objet : a) d’assurer le respect du français et de l’anglais à titre de langues officielles du Canada, leur égalité de statut et l’égalité de droits et privilèges quant à leur usage dans les institutions fédérales, notamment en ce qui touche les débats et travaux du Parlement, les actes législatifs et autres, l’administration de la justice, les communications avec le public et la prestation des services, ainsi que la mise en œuvre des objectifs de ces institutions; b) d’appuyer le développement des minorités francophones et anglophones et, d’une façon générale, de favoriser, au sein de la société canadienne, la progression vers l’égalité de statut et d’usage du français et de l’anglais;
30 Forum des maires , Cour d’appel fédérale, supra note 10 aux para 33-36.
31 Ibid au para 37.
32 Ibid aux para 38, 44.
33 Par exemple, la totalité de la Partie III, qui énonce les obligations des tribunaux fédéraux, est exclue. Pareille exclusion découle non pas du caractère non justiciable des obligations, mais plutôt de considérations d’ordre pratique. Il est nettement préférable d’exiger qu’une personne qui participe à une instance devant un tribunal fédéral soulève les obligations de celui-ci dans le cadre de l’instance, du moins dans un premier temps, plutôt que d’entamer une procédure distincte en Cour fédérale (qui est elle-même soumise à la Partie III). Si l’on estime que le tribunal ne respecte pas ses obligations à cet égard, l’on pourra soit porter la décision en appel, s’il s’agit d’une cour fédérale, soit faire une demande de contrôle judiciaire, s’il s’agit d’un tribunal administratif.
34 On peut inclure au nombre de celles-ci les obligations imposées au Commissariat aux langues officielles. Voir Lavigne c Canada (Commissariat aux langues officielles), [2002] 2 RCS 773.
35 Cité dans Forum des maires, Cour d’appel fédérale, supra note 10 au para 44.
36 « Depuis que j’ai vote? en faveur de ce projet de loi en 1988, je crois fermement que l’article 41 est exe?cutoire et impe?ratif » : Délibérations du Comité sénatorial, PL S-32, supra note 6, no 23 à la p 14.
37 Ibid aux pp 9, 14, 15, 17, 21.
38 « Le texte modifie la Loi sur les langues officielles afin de préciser la portée de l’article 41 de celle-ci de la manière la plus compatible avec la réalisation de son objet ». Dans la version anglaise, le mot « préciser » est traduit par « clarify ». Voir An Act to amend the Official Languages Act (fostering of English and French) , Jean-Robert Gauthier, 19 September 2001.
39 Débats du Sénat , 3e sess, 37e lég, vol 141, no 20, 11 mars 2004 à la p 540.
40 Sénat du Canada, « Délibérations du Comité sénatorial permanent des Langues officielles, 1 re sess, 38e leg, 2004. Fascicule no 1 : PL S-3, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles (promotion du français et de l’anglais) » à la p 20.
41 Délibérations du Comité sénatorial , PL S-32, supra note 6, no 23 à la p 15.
42 Cette position a été adoptée immédiatement après l’adoption des modifications : Fe?de?ration des communaute?s francophones et acadiennes du Canada c La Reine , Cour fe?de?rale du Canada, Dossier de la de?fenderesse, dossier no T-622-07. Elle a été défendue dans les causes suivantes : Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada c Canada (Procureur général) , 2010 CF 999, [2012] 2 RCF 23; Picard c Canada (Commissaire aux brevets), 2010 CF 86, [2011] 2 RCF 192 [Picard]; Société Franco-manitobaine c Procureur général du Canada et al , Docket T-310-15 (CF) [Société Franco-manitobaine]; Canada (Commissaire aux langues officielles) c Radio-Canada/CBC , 2014 CF 849, [2015] 3 RCF 481 (infirmé en appel pour d’autres motifs, 2015 CAF 251, [2016] 3 RCF 55).
43 Picard , ibid aux para 59-62.
44 Malgré la défaite qu’il a essuyé dans l’affaire Picard, le PGC n’a pas modifié sa position à cet égard. Voir notamment « Me?moire des faits et du droit des de?fendeurs (en re?ponse au me?moire du Commissaire aux langues officielles) », Socie?te? Franco-manitobaine, supra note 42 aux para 13-16.
45 Érik Labelle Eastaugh, « Enforcing Part VII of the Official Languages Act: the Structure of s. 41 as a Legal Norm » (2017) 4 Revue de droit linguistique 1 [Labelle Eastaugh].
46 Comme l’a souligné Henri Brun en lien avec les dispositions de la Charte canadienne, qui doivent fonctionner dans un contexte semblable, « [e]n tant que normes des normes, les droits fondamentaux ne peuvent s’exprimer qu’en termes très généraux » : Henri Brun, « La Charte canadienne des droits et libertés comme instrument de développement social » dans Claire Beckton et Wayne Mackay, dir, Les tribunaux et la Charte, Toronto, University of Toronto Press, 1985 à la p 4.
47 Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa , 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339 au para 28.
48 Voir Labelle Eastaugh, supra note 45 aux pp 26-41 pour une analyse très détaillée de cette question.
49 Délibérations du Comité sénatorial , PL S-32, supra note 6, no 23 aux pp 26–27. Après la tenue du colloque en l’honneur de Me Doucet, lors duquel le présent texte a été présenté, la Cour fédérale a rendu un jugement important sur l’article 41 : Fédération des francophones de la Colombie-Britannique c Canada (Emploi et Développement social) , 2018 CF 530. Nous ne pouvons analyser cette décision en détail dans le cadre du présent texte, mais selon nous le juge Gascon propose une lecture incomplète des débats législatifs ayant mené à l’adoption des modifications de 2005 (voir notamment les paragraphes 222 à 238).
50 Délibérations du Comité sénatorial , PL S-32, supra note 6.