La protection de la langue française et des communautés francophones
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Roger J.F. Lepage
(2018) 5 RDL 25
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INTRODUCTION
L’importance de l’histoire1 dans le domaine des droits linguistiques justifie qu’on fasse un survol historique de la protection de la langue française et des communautés francophones au Canada. Nous débuterons notre survol en 1867, pas parce que Michel Doucet était en vie à cette époque, mais bien parce qu’il s’agit du point de départ en matière de protection de la langue française et des communautés francophones au Canada.
I - ÉVÈNEMENTS HISTORIQUES CLÉS
A - Les efforts du Canada en vue de protéger la langue française et les communautés francophones (1867-1875)
L’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, qui porte sur le bilinguisme parlementaire, législatif et judiciaire au Québec et au sein du gouvernement fédéral, constitue la première disposition linguistique du Canada. L’article 133 se lit comme suit :
Dans les chambres du parlement du Canada et les chambres de la législature de Québec, l’usage de la langue française ou de la langue anglaise, dans les débats, sera facultatif; mais dans la rédaction des archives, procès-verbaux et journaux respectifs de ces chambres, l’usage de ces deux langues sera obligatoire; et dans toute plaidoirie ou pièce de procédure par-devant les tribunaux ou émanant des tribunaux du Canada qui seront établis sous l’autorité de la présente loi, et par-devant tous les tribunaux ou émanant des tribunaux de Québec, il pourra être fait également usage, à faculté, de l’une ou de l’autre de ces langues.
Les lois du parlement du Canada et de la législature de Québec devront être imprimées et publiées dans ces deux langues.
Les lois du parlement du Canada et de la législature de Québec devront être imprimées et publiées dans ces deux langues.
Faisant notamment l’objet d’un litige qui s’est rendu jusqu’à la Cour suprême du Canada pour la première fois, en 1979, dans l’arrêtProc. Gén. du Québec c. Blaikie et autres2, l’interprétation que la Cour a donné à cette disposition a également eu des répercussions négatives pour le Nouveau-Brunswick lorsque la Cour a dû interpréter, en 1986, le paragraphe 19(2) de la Charte dans l’arrêtSociété des Acadiens c. Association of Parents3.
L’article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867, qui offre une protection religieuse, était censé offrir une protection linguistique, mais le conseil privé n’était pas de cet avis : « […] the class of persons to whom the right or privilege is reserved must, in their Lordships’ opinion, be a class of persons determined according to religious belief, and not according to race or language »4.
En 1870, le nord et l’ouest ont été fusionné au Dominion du Canada, lequel était composé à cette époque de l’Ontario, du Québec, du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse. La fusion a notamment donné lieu à la création de la Province du Manitoba et à la Loi de 1870 sur le Manitoba, dont l’article 23 prévoyait, à l’instar de l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, l’usage du français et de l’anglais dans les débats des chambres de la Législature, dans toutes les affaires dont sont saisis les tribunaux et prévoit également que les lois soient imprimées et publiées dans ces deux langues.
Les territoires non fusionnés ont tout de même prévu, à l’article 110 de l’ Acte des Territoires du Nord-Ouest, une protection pour la langue française, sauf pour la Colombie-Britannique, qui constituait à cette époque sa propre colonie. L’article 110 prévoit que :
Toute personne pourra faire usage soit de la langue anglaise, soit de la langue française, dans les débats du conseil ou de l’Assemblée législative des territoires, ainsi que dans les procédures devant les cours; et ces deux langues seront employées pour la rédaction des procès-verbaux et des journaux du conseil ou de l’Assemblée; et toutes ordonnances rendues sous l’autorité du présent acte seront imprimées dans ces deux langues.
Comme nous le verrons ci-dessous, l’article 110 sera éventuellement abrogé par l’Alberta et la Saskatchewan, portant ainsi un dur coup à la langue française et aux communautés francophones de ces deux provinces.
B - Les efforts qu’a déployés le Canada pour éradiquer la langue française et les communautés francophones (1880-1945)
Malgré les efforts substantiels déployés entre 1867 et 1875 en vue de protéger la langue française et les communautés francophones, un revirement de position s’est opéré entre 1880 et 1890. On ne saurait passer sous silence les actions de Dalton McCarthy, député ontarien, qui a lutté farouchement pour éradiquer les écoles de langue française et la prestation des services en français au Manitoba et en Ontario5.
Ses efforts ont porté fruit. En 1890, le Manitoba adopte le Languages Act, qui a pour but d’abolir l’usage du français, contrairement à ce que prévoyait l’article 23 de la Loi de 1870 sur le Manitoba. De plus, on a également tenté de modifier, la même année, l’article 110 de l’ Acte des Territoires du Nord-Ouest afin d’abolir l’usage du français : une modification à la loi permettait aux députés d’abroger l’article 110 à la prochaine session, ce qu’ils ont fait. Cependant, l’honorable Joseph Royal, francophone et lieutenant-gouverneur, a refusé d’accorder la sanction royale. Bien que la modification n’ait pas été adoptée, le geste a eu le même effet et, en 1892, les lois n’ont plus été publiées en français dans l’Ouest et dans le nord-canadien.
Il convient de noter que, dans l’histoire canadienne de la langue française et des communautés francophones, les reculs juridiques, par rapport à l’égalité des langues et des communautés, ont été d’une durée plus longue que les avancements et ont eu des effets néfastes sur la vitalité des communautés.
En 1912, le règlement 17 de l’Ontario avait pour effet d’interdire l’enseignement du français dans les écoles. Il sera vivement contesté par les franco-ontariens et le règlement 17 sera enfin abrogé en 19276.
En 1905, la province de la Saskatchewan et la province de l’Alberta ont été créé. Selon certains historiens, les provinces jouissaient de droits linguistiques, mais la thèse n’a pas été retenue par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Caron c. Alberta7, où six juges étaient d’avis qu’il n’y avait aucun fondement constitutionnel alors que les trois autres étaient d’avis contraire. Malgré les efforts, notamment de Michel Doucet et moi-même en tant qu’avocat au dossier, cet arrêt constitue un recul considérable, puisqu’il est venu enlever à la communauté francophone de l’Ouest un argument historique solide8.
De 1910 à 1930, on constate que, dans la plupart des provinces à travers le Canada, le législateur a modifié les lois scolaires pour interdire l’enseignement en français. En 1918, on pouvait seulement enseigner le français une heure par jour en Saskatchewan et en 1929, l’État l’a complètement interdit. Plusieurs provinces ont malheureusement connu le même sort.
De 1930 à 1945, on a assisté à une centralisation des conseils scolaires. Avant cette centralisation, les petites communautés francophones de la Saskatchewan et du Manitoba, qui contrôlaient leur propre conseil scolaire, ont pu continuer à enseigner le français dans l’illégalité. Par 1945, la centralisation était telle que les communautés francophones ont été intégrées aux conseils scolaires anglophones, ce qui a mis fin à l’enseignement illégal du français.
En 1967, la fin du « Canada français » est survenu lors des États généraux : en votant massivement en faveur du droit à l’autodétermination, le Québec rompt ses liens avec les francophones hors Québec9. L’effet négatif de cette rupture s’est fait sentir et se fait encore sentir de nos jours par les communautés francophones hors Québec.
De 1960 à 1970, il y a eu une séparation entre l’Église catholique et la protection de la langue française. Auparavant, l’Église catholique était l’institution clé qui protégeait les communautés francophones, mais durant les années 60, elle a cessé de parler de la langue et de la foi. Ayant ainsi été abandonné par cette institution, la vitalité de la minorité francophone en a pris un dur coup.
C - De 1962 à 1982 : un vent de renouveau
Comme nous venons de le mentionner, bien que le Québec ait abandonné les communautés francophones hors Québec, le fait qu’il se soit tenu debout a eu un effet positif sur nos communautés francophones et leurs revendications linguistiques ont bénéficié à la minorité francophone de partout au pays. Après tout, leurs revendications ont mené à l’adoption de la Charte canadienne des droits et libertés et donc à l’article 23.
En 1969, le Gouvernement du Canada a adopté la Loi sur les langues officielles, tout comme le Nouveau-Brunswick. Son effet s’est également fait sentir auprès des autres minorités linguistiques hors Québec, il s’agissait d’un signe d’espoir et de respect.
En 1970, le secrétaire d’État fédéral accorde des subventions aux communautés francophones, permettant aux chaînes de radio et de télévision de Radio-Canada d’atteindre les régions. Auparavant, les communautés devaient se cotiser et amasser l’argent elles-mêmes si elles souhaitaient se doter, par exemple, d’une station de radio.
La Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme a sans aucun doute eu un effet positif sur la langue française et les communautés francophones. La Commission, dont le mandat était de « faire enquête et rapport sur l’état présent du bilinguisme et du biculturalisme, et de recommander les mesures à prendre pour que la Confédération canadienne se développe d’après le principe de l’égalité entre les deux peuples qui l’ont fondée, compte tenu de l’apport des autres groupes ethniques à l’enrichissement culturel du Canada, ainsi que les mesures à prendre pour sauvegarder cet apport »10 a notamment recommandé que le français et l’anglais soit les langues officielles du Canada, de l’Ontario et du Nouveau-Brunswick. Une recommandation qui a changé le visage linguistique du Canada et a donné espoir aux communautés francophones hors-Québec.
Les articles 16 à 22 de la Charte constitutionnalisent les langues officielles du Canada et bénéficient énormément aux communautés. L’article 20 de la Charte, qui prévoit que les communications et les services seront offerts en français par les institutions fédérales, montre à l’ouest canadien francophone que le gouvernement fédéral peut avoir un visage francophone, malgré la condition du 5 % pour recevoir lesdits services.
Enfin, mentionnons que la création du Programme de contestation judiciaire du Canada a constitué un appui énorme pour la langue et les communautés francophones. L’un des premiers dossiers qui a justifié la création du Programme est l’arrêt Forest11 du Manitoba, qui a mené au rétablissement du bilinguisme après 100 ans d’unilinguisme illégal. Pareil revirement de situation a eu un effet psychologique considérable pour les autres communautés francophones. Il leur montrait qu’on pouvait corriger les torts du passé en employant la voie judiciaire.
II - LE MILIEU SCOLAIRE
Les écoles sont devenues les institutions clés pour toutes les communautés francophones hors Québec. Les premiers jugements hors Québec qui ont interprété l’article 23 sont Re Education Act (Ont.) and Re Minority Language Education Rights (1984) de la Cour d’appel de l’Ontario, et les arrêtsMahé c. Alberta (1990),Arsenault-Cameron c. Île-du-Prince-Édouard (2000) et Doucet-Boudreau c. Attorney General of Nova Scotia (2003) de la Cour suprême du Canada12.
De 1993 à 1998, on a été témoin de l’établissement des conseils scolaires francophones à travers le Canada. En 2017, on en compte 28 à l’extérieur du Québec13.
Dans plusieurs provinces, on a dû construire des écoles primaires et secondaires pour les francophones. On en compte maintenant 650 à travers le Canada, dont 13 en Saskatchewan alors qu’il n’y en avait aucune avant cette époque14. On compte maintenant 160 000 élèves francophones qui bénéficient de ces écoles et qui représentent l’avenir de nos communautés15. Ce nombre constitue le résultat des efforts déployés au fil des ans au niveau judiciaire et politique.
Si on veut continuer à grandir, le réseau scolaire francophone est l’institution clé pour protéger et développer la langue et les communautés francophones.
III - PROTECTION DE LA LANGUE ET DES COMMUNAUTÉS FRANCOPHONES
Entre 1982 et 2003, des efforts ont été déployés pour protéger la langue française dans l’Ouest canadien. Dans l’arrêt R. c. Mercure16, la Cour suprême du Canada a rendu un jugement favorable aux communautés francophones, sur le fondement de l’article 110 de l’Acte des territoires du Nord-Ouest , selon lequel la Saskatchewan devait permettre à un individu, tout comme au Manitoba, d’employer la langue française dans une instance judiciaire. Cela dit, la Cour a conclu qu’il n’y avait aucun fondement constitutionnel qui sous-tendait l’article 110 et donc la Saskatchewan pouvait, si elle le souhaitait, modifié leur loi constitutive pour abroger l’obligation de publier les lois en anglais et en français. En Saskatchewan, seules les règles des tribunaux et une cinquantaine de lois sont traduites en français comme conséquence de l’arrêt Mercure.
Dans l’ouest et le nord canadien, le gouvernement fédéral a également adopté des lois pour confirmer le bilinguisme au sein des trois territoires. Cependant, bien qu’il y ait plus d’une langue officielle au Territoires-du-Nord-Ouest17, peu d’efforts sont déployés pour en assurer leur survie. Les communautés ont également dû poursuivre les gouvernements afin qu’ils offrent des services et des communications en français18. Il y a des outils qui peuvent être employés afin d’obtenir des droits…
En 2006, le gouvernement canadien a aboli le Programme de contestation judiciaire19. La Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada avec l’aide de Me Michel Doucet a contesté cette décision au motif que son abolition était contraire à la Partie VII de la Loi sur les langues officielles du Canada, laquelle est un prolongement du paragraphe 16(1) de la Charte et donne effet au paragraphe 16(3) de la Charte, qui prévoit la « progression vers l’égalité de statut ou d’usage du française et de l’anglais »20. Bien qu’une poursuite ait été entamée, aucune décision n’a été rendue par la Cour fédérale puisqu’une entente, qui allait mener à la mise sur pied du Programme d’appui aux droits linguistiques, est intervenue entre les parties21.
Depuis l’adoption de la Charte, les tribunaux ont rendu un nombre considérable de décisions dans lesquelles ils interprétaient l’article 23. Le Dr. Wilfrid Denis a d’ailleurs comptabilisé toutes les décisions rendues à ce sujet entre 1982 et 2016, tout en les classant par province et par instance judiciaire. Nous reproduisons son tableau ci-dessous :
Les 156 décisions au sujet de l’article 23 (1982-2016)
Toutes les décisions | Décisions directes | |||||||||
Province | 1re cour | Cour d’appel | Cour suprême | Total | Causes | 1re cour | Cour d’appel | Cour suprême | Total | Causes |
Alb. | 2 | 3 | 1 | 6 | 3 | 2 | 3 | 1 | 6 | 3 |
C.-B. | 19 | 4 | 2 | 25 | 6 | 10 | 3 | 2 | 15 | 5 |
Î.-P.-É. | 3 | 2 | 1 | 6 | 3 | 2 | 2 | 1 | 5 | 3 |
Man. | 0 | 1 | 1 | 2 | 1 | 0 | 1 | 1 | 2 | 1 |
N.-B. | 4 | 5 | 1 | 10 | 2 | 3 | 1 | 0 | 4 | 2 |
N.-É. | 9 | 4 | 1 | 14 | 7 | 6 | 3 | 1 | 10 | 4 |
Nun. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
Ont. | 10 | 5 | 1 | 16 | 8 | 8 | 4 | 0 | 12 | 6 |
Qc | 18 | 14 | 6 | 38 | 16 | 18 | 14 | 6 | 38 | 16 |
Sask. | 8 | 3 | 0 | 11 | 4 | 7 | 3 | 0 | 10 | 3 |
T.-N.-L. | 1 | 0 | 0 | 1 | 1 | 1 | 0 | 0 | 1 | 1 |
T.N.-O. | 11 | 4 | 0 | 15 | 2 | 8 | 3 | 0 | 11 | 2 |
Yn | 7 | 4 | 1 | 12 | 1 | 4 | 4 | 1 | 9 | 1 |
Total | 92 | 49 | 15 | 156 | 54 | 69 | 41 | 13 | 123 | 47 |
En plus de faire un travail énorme de façon générale pour les avancés au sujet de l’article 2322, Me Michel Doucet a joué un rôle clé dans deux arrêts de la Cour suprême du Canada23. Cela dit, les procès relatifs à l’article 23 de la Charte sont de plus en plus complexes et de longue durée24. Cela a comme conséquence qu’il est de plus en plus difficile pour des minorités linguistiques de partout au Canada de faire valoir leur point de vue.
En outre, les conseils scolaires francophones éprouvent beaucoup de fatigue, puisqu’ils doivent constamment recourir aux tribunaux. Passant leur vie à mener cette lutte, les gens sont épuisés et il faut à tout prix trouver d’autres solutions afin de faire respecter les droits des communautés de langue officielle minoritaire de partout au Canada.
La langue française et les communautés francophones vont continuer d’exister dans la mesure où les institutions scolaires seront bien financées et qu’on assure une éducation équivalente, comparable aux institutions scolaires anglophones25.
Il y a également eu plusieurs avis juridiques de Me Michel Doucet, lesquels ont été d’une grande utilité pour les avocats qui s’intéressaient à la question des droits linguistiques et qui étaient éloignés des grands centres26. Le juge Bastarache a également eu un impact énorme sur les régions éloignées et les deux représentent des figures de héros pour les avocats francophones de l’ouest. N’eut été de leur travail et de leurs recherches, les communautés francophones de l’Ouest n’en auraient pas bénéficié, puisque nous n’aurions pas fait ce travail de recherche de notre côté.
Enfin, les publications au sujet des droits linguistiques, les Facultés de droit pour l’enseignement de la common law en français ainsi que la normalisation de la common law en français sont tous des éléments qui ont contribué grandement aux revendications des francophones de l’ouest.
A - L’immigration et l’exogamie
Bien que Michel n’ait pas directement joué un rôle au sein de l’immigration, je tiens à en dire quelques mots. Grâce à des changements au niveau canadien, un tiers de la population des écoles de Régina et de Saskatoon proviennent de l’Afrique francophone. Il s’agit d’un changement énorme à l’égard de la francisation et de l’anglicisation. Les nouveaux arrivants doivent toutefois apprendre rapidement le français, sinon ils se tournent vers l’anglais de peur de ne pas pouvoir s’intégrer, sachant que l’anglais est la langue dominante. Tant on veut angliciser les nouveaux arrivants pour qu’ils restent chez nous, tant on veut franciser les jeunes qui parlent peu français, mais qui viennent à notre école. L’immigration est donc une source de nouveaux élèves pour les écoles francophones, pourvu que les gouvernements provinciaux et territoriaux le permettent en vertu de la définition d’ayants droit que prévoit l’article 23 de la Charte.
L’exogamie est quant à lui un facteur qui contribue à la croissance du taux d’assimilation. Dans l’ouest canadien, environ 85 % des familles francophones ont un conjoint anglophone. Ces familles ont conséquemment moins tendance à s’impliquer dans la communauté francophone et à s’inscrire aux écoles francophones.
Environ 80 % des francophones sont en couple exogame et cela a un sérieux impact sur la participation dans la communauté francophone et à l’inscription aux écoles francophones. Si l’exogamie constituent un bassin potentiel de gens qui peuvent intégrer la communauté minoritaire francophone, ce n’est pas sans défis : il faut avoir des services de garderie et des centres de la petite enfance en français, sinon on les perd au profit du groupe linguistique majoritaire. Il faut franciser les enfants par un réseau de garderies francophones et de services de prématernelles (3 à 5 ans). Pareils services sont nécessaires en raison du nombre élevé de couples exogames.
Il y a aussi des difficultés au niveau du transfert intergénérationnel de la langue française pour assurer le développement des conseils scolaires francophones et des communautés francophones. Certes, on espère voir d’autre Michel Doucet, mais il faut aussi effectuer un transfert intergénérationnel du vouloir vivre ensemble et en français. En outre, il faut sensibiliser les jeunes à la question des droits linguistiques et les inciter à siéger davantage aux sein des conseils d’administration de divers organismes communautaires.
L’urbanisation a également contribué à la diminution du nombre de francophone dans l’ouest-canadien. Par exemple, en Saskatchewan, où la majorité des francophones se trouvaient en région en raison de l’agriculture, l’urbanisation les a dispersés sur l’ensemble du territoire, mettant fin au regroupement géographique et contribuant par le fait même à l’assimilation.
B – Comment assurer la protection de la langue française et des communautés francophones ?
Sans aucun doute, l’école est l’institution clé dans le maintien et la survie de la langue française et des communautés francophones du Canada. L’article 23 de la Charte est la pierre angulaire de cette protection juridique et il faut l’utiliser pleinement comme l’a fait Me Michel Doucet !
L’État doit assurer un financement adéquat et stable de nos écoles et de nos organismes communautaires pour réparer les torts du passé et contrer, voire renverser l’assimilation.
À l’instar du Nouveau-Brunswick, les autres provinces doivent se doter de loi qui accordent une légitimité à la langue française et aux communautés francophones. Cela dit, sans le poids démographique et politique, la pente est très difficile à monter.
Enfin, il faut des institutions postsecondaires et promouvoir les facultés de droit qui forment des juristes francophones. Tous ces facteurs sont importants et contribuent au maintien de la langue française et des communautés francophones de partout au Canada.
CONCLUSION
Certes, il y a eu bien des progrès depuis les 40 dernières années. Les communautés francophones ont bénéficié du fait que le Québec s’est affirmé au niveau linguistique, mais sont tout de même vouées à être éternellement vigilantes.
Bien qu’on dise que la force réside dans le nombre, en milieu minoritaire il faut plutôt compter sur la qualité des individus, car les institutions avancent grâce à ces individus.
Il y a encore bien du progrès à faire, notamment franchir le dernier pas en matière de bilinguisme judiciaire pour que la Loi sur les langues officielles du Canada s’applique à la Cour suprême du Canada27.
Cela dit, Me Michel Doucet est un individu clé qui a œuvré pendant plus de 30 ans à assurer la protection de la langue française et des communautés francophones, nous montrant par le fait même la façon de faire pour assurer le maintien et le développement de nos communautés francophones.
Merci Michel !
* Avocat chez Miller Thomson.
1 Voir notamment, et puisque Michel Doucet était l’un des avocats plaideurs, Charlebois c Moncton, 2001 NBCA 117 au para 11 : « Sur le plan juridique, il incombe aux tribunaux d’apprécier l’étendue des droits linguistiques garantis dans la Charte en faisant appel tout autant à l’histoire et aux sources de ces droits pour en dégager l’objet et la portée qu’aux textes constitutionnels eux-mêmes. La considération de l’évolution historique des droits de la minorité au Nouveau-Brunswick est l’une des exigences qui ressort de l’application de la méthode d’interprétation large et libérale qu’il convient d’adopter dans la présente affaire ».
2 [1979] 2 RCS 1016.
3 [1986] 1 RCS 549. Voir également à ce sujet, Michel Doucet, « La Cour suprême et les droits linguistiques du justiciable : une démarche régressive » 18 Égalité 123; et Michel Doucet, « Une Révision de la règle d'interprétation dans l'affaire Société des Acadiens » (1999) 16:1 Le Bulletin des avocats 4-6.
4 Ottawa Roman Catholic Separate School Board v MacKell (1917), 32 DLR 1 à la p 4.
5 Voir notamment J. R. Miller, « “As a Politician He is a Great Enigma?: The Social and Political Ideas of D’Alton McCarthy » (1977) 58:4 Canadian Historical Review 399-422; et Marilyn Barber, « The Ontario Bilingual Schools Issue: Sources of Conflict » (1966) 47:3 Canadian Historical Review 227-48.
6 Voir notamment Michel Bock et François Charbonneau, dir, Le siècle du Règlement 17 – Regards sur une crise scolaire et nationale , Sudbury (ON), Prise de parole, 2015.
7 2015 CSC 56, [2015] 3 RCS 511.
8 Voir également Michel Doucet, « Un rendez-vous raté avec l’histoire » (2016) 3 RDL 122.
9 Voir notamment Christian Rioux, « Les États généraux du Canada français en 1967 - Le jour où le Canada français a disparu » (20 novembre 2010) LE DEVOIR, en ligne : <http://www.ledevoir.com/societe/actualites-en-societe/311368/les-etats-generaux-du-canada-francais-en-1967-le-jour-ou-le-canada-francais-a-disparu>.
10 Dunton, A. Davidson, André Laurendeau et Jean-Louis Gagnon. Commission royale d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, Livre I : Les langues officielles, 1967 à la p XII.
11 Procureur général du Manitoba c Forest , [1979] 2 RCS 1032.
12 47 OR (2e) 1, 10 DLR (4e) 491; [1990] 1 RCS 342, 68 DLR (4e) 69; 2000 CSC 1, [2000] 1 RCS 3; et 2003 CSC 62, [2003] 3 RCS 3.
13 « Membres », en ligne : Fédération nationale des conseils scolaires francophones <http://fncsf.ca/notre-organisme/qui-sommes-nous/>.
14 Voir notamment le site Web du Conseil des écoles fransaskoises : <https://ecolefrancophone.com/fr/parents/trouver-une-ecole>.
15 Voir les statistiques à la Fédération nationale des conseillères et conseillers scolaires francophones.
16 [1988] 1 RCS 234.
17 Loi sur les langues officielles, LRTN-O 1988, c O-1.
18 Fédération Franco-Ténoise, 2006 NWTCS 20, 2008 NWTCA 5, Kilrich Industries c. Halotier, 2008 YKCA 04.
19 Voir notamment l’article de Michel Doucet, « La décision judiciaire qui ne sera jamais rendue : l’abolition du Programme de contestation judiciaire du Canada et la Partie VII de la Loi sur les langues officielles » (2008) 10 RCLF 27.
20 Ibid au pp 31-32.
21 Michel Doucet, « La Décision judiciaire qui ne sera jamais rendue : l’abolition du Programme de contestation judiciaire du Canada et la Partie VII de la Loi sur les langues officielles » (2008) 10 R.C.L.F. 27-48.
22 Michel Doucet, « L’article 23 de la Charte et le droit à l’éducation dans la langue de la minorité officielle » dans E. P. Mendes et S. Beaulac, dir, Charte canadienne des droit et libertés, 5e éd, LexisNexis, Canada; Michel Doucet, « L’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés » (2013) 62 SCLR (2d) 421; Michel Doucet, « Glenda Doucet-Boudreau et al. c. Attorney General of Nova Scotia » (2005) 6:2 RCLF 313; Michel Doucet, « Qui possède la qualité pour agir en vertu de l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés ? » (2015) 2 RDL 189; M. Doucet, « L’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés et l’admission des non-ayants droit à l’école francophone » (2015) 2 RDL 239.
23 Solski (Tuteur de) c Québec (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 201, 2005 CSC 14 et Doucet?Boudreau c Nouvelle?Écosse (Ministre de l’Éducation), [2003] 3 R.C.S. 3, 2003 CSC 62
24 Conseil-scolaire francophone de la Colombie-Britannique v British Columbia (Education), 2016 BCSC 1764.
25 Association des parents de l’école Rose-des-vents c Colombie?Britannique (Éducation), 2015 CSC 21, [2015] 2 RCS 139.
26 À titre d’exemples, notons les avis juridiques suivants de Michel Doucet : « Les obligations constitutionnelles du gouvernement territorial du Yukon et du gouvernement fédéral en matière linguistique dans le cas d’une dévolution des pouvoirs », Association franco-Yukonnaise, 1997; « Les obligations du gouvernement territorial et du gouvernement fédéral en matière linguistique dans les TNO », Fédération Franco-Ténoise, 1998; « Les parents ayants droit des communautés de L’Anse au Clair, Forteau et L’Anse au Loup, Labrador, ont-ils droit à des services éducatifs, préscolaires et scolaires, en français selon l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés et, le cas échéant, à quels types de services ont-ils droit ? », 2001; « La province du Nouveau-Brunswick a-t-elle une obligation constitutionnelle d’établir une école secondaire francophone dans la municipalité de Moncton ? », 2001; « Étude de la constitutionnalité du Règlement sur les langues officielles - communication avec le public et prestation des services adoptés en vertu de la Loi sur les langues officielles », 2005.
27 Voir notamment P. Morin, « Le bilinguisme des juges à la Cour suprême du Canada : un exemple d’opposition à l’égalité formelle des deux langues officielles » (5 février 2018) Blogue sur les droits linguistiques, en ligne : Observatoire international des droits linguistiques <http://www.droitslinguistiques.ca/fr/blogue/6-blogue/465-2018-02-05-18-27-58>.