Les municipalités et les droits linguistiques
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Luc Desjardins
(2018) 5 RDL 80
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INTRODUCTION
Michel Doucet et moi avons des atomes crochus et avons emprunté, au fil des ans, des voies semblables : il a été président de l’École secondaire de Népisiguit, un rôle que j’ai également exercé plusieurs années après lui. J’ai également collaboré à la deuxième tentative de fonder l’Association des juristes d’expression française du Nouveau-Brunswick (AJEFNB), la première ayant été étouffée par les praticiens traditionnels. À titre de président de la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB), Michel a pris le dossier en main et est parti rencontrer les avocates et les avocats de la province afin de les convaincre de la nécessité de constituer une association. D’ailleurs, je suis fier d’avoir été parmi les premiers membres de l’AJEFNB et d’avoir siégé au conseil d’administration à titre de président de 1999 à 2001.
Lors du projet de réforme constitutionnelle, appelé communément l’accord du Lac Meech (1987-1990), la SANB, dont j’étais à l’époque un employé et Michel le président, s’est demandée ce qu’elle pourrait faire? Ce projet de réforme niait le statut d’égalité des communautés, malgré l’existence de la Loi 88, c’est-à-dire la Loi reconnaissant l’égalité des deux communautés linguistiques officielles au Nouveau-Brunswick 1 . Nous avons donc formé le mouvement 88 en 88, lequel avait pour but d’inscrire les principes de cette loi dans la Constitution, comme réponse à l’accord du Lac Meech. Bien que l’accord ait toutefois échoué en 1990, les démarches se sont poursuivies lors de l’accord de Charlottetown et l’inscription de la Loi 88 a donné lieu à l’article 16.1 de la Charte canadienne des droits et libertés, lequel constitue la seule disposition ayant survécu à ces deux projets de réforme constitutionnelle2.
Nos chemins allaient se croiser de nouveau lorsque l’AJEFNB, dont j’étais le président à l’époque, a agi à titre d’intervenante pour la première fois de son histoire dans une instance judiciaire portée en appel à la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick.
Nos chemins allaient se croiser de nouveau lorsque l’AJEFNB, dont j’étais le président à l’époque, a agi à titre d’intervenante pour la première fois de son histoire dans une instance judiciaire portée en appel à la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick.
I - CHARLEBOIS c. MONCTON
Il était une fois un dénommé M. Mario Charlebois. Ayant reçu une ordonnance de M. Mowat, inspecteur de la ville de Moncton, parce qu’il n’aurait apparemment pas respecter la réglementation municipale, il conteste judiciairement l’ordonnance sans être représenté par un avocat. À la Cour du Banc de la Reine, il argumente que les arrêtés de la ville de Moncton sont inconstitutionnels, puisqu’ils n’ont pas été adopté en français.
La ville de Moncton est évidemment représentée par un avocat et la province, qui a obtenu le statut d’intervenante, est également représentée par un avocat. La province argumente que le paragraphe 18(2) de laCharte doit être interprété à la lumière de l’arrêtProcureur général du Québec c. Blaikie et autres3 de la Cour suprême du Canada, qui avait énoncé que l’exigence de publication des lois en français et en anglais en vertu de l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 ne comprend pas les arrêtés municipaux : « L’article 133 ne s’applique pas aux règlements d’organismes municipaux ou scolaires même s’ils sont soumis à l’approbation du gouvernement, d’un ministre ou d’un groupe de ministres » 4. Le 12 juillet 2000, le juge Deschênes donne raison à la province 5 et M. Charlebois fait appel de la décision.
A – L’AJEFNB à titre d’intervenante
À l’automne 2000, lors d’une réunion du conseil d’administration de l’AJEFNB, on y apprend que la Société des Acadiens et Acadiennes du Nouveau-Brunswick6 a demandé à la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick la permission d’intervenir dans l’affaire Charlebois. M. Serge Rousselle, siégeant sur le conseil d’administration à titre de représentant des professeurs de la Faculté de droit, nous renseigne au sujet des arguments que la SANB va mettre de l’avant, arguments fondés essentiellement sur le paragraphe 16(2) et 18(2) de la Charte.
Après la réunion, et tout en y songeant profondément, je deviens convaincu qu’il faille plaider l’article 16.1 de la Charte, puisque l’argument de la SANB n’est pas complet et ne tient pas compte de la notion d’égalité des deux communautés de langues officielles. Bref, si la Cour d’appel déclare que tous les arrêtés doivent être bilingues, cela irait à l’encontre des refuges linguistiques homogènes que permet en principe l’article 16.1 de la Charte. Nous avons donc demandé à la Cour d’appel la permission d’agir en tant qu’intervenante et nous avons fait appel à Michel Doucet pour y argumenter notre position.
B - La plaidoirie
L’appel est entendu le 25 janvier 2001 7. Selon M. Charlebsois, l’arrêté de la ville de Moncton est inconstitutionnel, puisqu’il est contraire au paragraphe 18(2) de la Charte, qui prévoit :
Il était une fois un dénommé M. Mario Charlebois. Ayant reçu une ordonnance de M. Mowat, inspecteur de la ville de Moncton, parce qu’il n’aurait apparemment pas respecter la réglementation municipale, il conteste judiciairement l’ordonnance sans être représenté par un avocat. À la Cour du Banc de la Reine, il argumente que les arrêtés de la ville de Moncton sont inconstitutionnels, puisqu’ils n’ont pas été adopté en français.
La ville de Moncton est évidemment représentée par un avocat et la province, qui a obtenu le statut d’intervenante, est également représentée par un avocat. La province argumente que le paragraphe 18(2) de laCharte doit être interprété à la lumière de l’arrêtProcureur général du Québec c. Blaikie et autres3 de la Cour suprême du Canada, qui avait énoncé que l’exigence de publication des lois en français et en anglais en vertu de l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 ne comprend pas les arrêtés municipaux : « L’article 133 ne s’applique pas aux règlements d’organismes municipaux ou scolaires même s’ils sont soumis à l’approbation du gouvernement, d’un ministre ou d’un groupe de ministres » 4. Le 12 juillet 2000, le juge Deschênes donne raison à la province 5 et M. Charlebois fait appel de la décision.
A – L’AJEFNB à titre d’intervenante
À l’automne 2000, lors d’une réunion du conseil d’administration de l’AJEFNB, on y apprend que la Société des Acadiens et Acadiennes du Nouveau-Brunswick6 a demandé à la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick la permission d’intervenir dans l’affaire Charlebois. M. Serge Rousselle, siégeant sur le conseil d’administration à titre de représentant des professeurs de la Faculté de droit, nous renseigne au sujet des arguments que la SANB va mettre de l’avant, arguments fondés essentiellement sur le paragraphe 16(2) et 18(2) de la Charte.
Après la réunion, et tout en y songeant profondément, je deviens convaincu qu’il faille plaider l’article 16.1 de la Charte, puisque l’argument de la SANB n’est pas complet et ne tient pas compte de la notion d’égalité des deux communautés de langues officielles. Bref, si la Cour d’appel déclare que tous les arrêtés doivent être bilingues, cela irait à l’encontre des refuges linguistiques homogènes que permet en principe l’article 16.1 de la Charte. Nous avons donc demandé à la Cour d’appel la permission d’agir en tant qu’intervenante et nous avons fait appel à Michel Doucet pour y argumenter notre position.
B - La plaidoirie
L’appel est entendu le 25 janvier 2001 7. Selon M. Charlebsois, l’arrêté de la ville de Moncton est inconstitutionnel, puisqu’il est contraire au paragraphe 18(2) de la Charte, qui prévoit :
Les lois, les archives, les comptes rendus et les procès-verbaux de la Législature du Nouveau-Brunswick sont imprimés et publiés en français et en anglais, les deux versions des lois ayant également force de loi et celles des autres documents ayant même valeur. | The statutes, records and journals of the legislature of New Brunswick shall be printed and published in English and French and both language versions are equally authoritative. |
L’une des questions posées à la Cour d’appel était de savoir si le mot « lois » qui figure au paragraphe 18(2) comprend les arrêtés municipaux.
Michel Doucet a été le premier à plaider à la Cour d’appel et, je dois le dire, il a donné un cours à la Cour. C’était tout simplement magistral! À la fin de sa plaidoirie, la barre, en matière de droits constitutionnels linguistiques, était très haute 8. D’ailleurs, selon la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick, « [p]uisque [M. Charlebois] se représentait lui-même, les arguments présentés par les intervenantes ont considérablement élargi le débat » 9.
La Cour d’appel du N.-B. a appliqué le principe d’interprétation des droits linguistiques tel qu’il avait été énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Beaulac deux ans plus tôt 10, et a établi clairement, comme l’avait souligné le juge Dickson dans l’arrêtSociété des Acadiens, que l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 et les dispositions relatives à la langue dans la Charte sont « des dispositions constitutionnelles différentes adoptées dans des contextes différents » 11.
Un des défis de taille dans l’affaire Charlebois consistait à distinguer l’arrêt Blaikie, qui avait conclu, tel que mentionné ci-dessus, que les arrêtés municipaux n’étaient pas compris dans l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, et l’arrêt Société des Acadiens, où une majorité de juges à la Cour suprême du Canada était d’avis qu’il n’y avait pas de différence entre l’article 133 et les articles 17, 18 et 19 de la Charte, lesquels devaient conséquemment recevoir la même interprétation que l’article 133. Une question qui a d’ailleurs été posée par la Cour d’appel à Michel Doucet lors de sa plaidoirie. Sa réponse était claire :
la décision dans l’arrêt Blaikie no 2, tout en servant de guide pour l’interprétation des par. 17(2), 18(2) et 19(2) de la Charte, doit être abordée avec prudence par les tribunaux de cette province.
En l’espèce, il saute aux yeux que le contexte historique et législatif de l’adoption en 1982 du par. 18(2) de la Charte est différent de celui qui prévalait à l’époque de la Confédération lors de l’adoption de l’art. 133 de la Loi constitutionnelle de 186712.
En l’espèce, il saute aux yeux que le contexte historique et législatif de l’adoption en 1982 du par. 18(2) de la Charte est différent de celui qui prévalait à l’époque de la Confédération lors de l’adoption de l’art. 133 de la Loi constitutionnelle de 186712.
Un peu plus loin, la Cour d’appel se fera l’écho de ces propos :
J’ai déjà mentionné que la Cour suprême avait élargi le sens du terme « lois » dans l’arrêt Blaikie no 2 pour comprendre les règlements pris par le gouvernement du Québec et les règles de pratique des tribunaux, mais non les règlements municipaux. Dans cette affaire, la Cour a reconnu que les règlements municipaux sont des « mesures législatives », mais compte tenu de l’historique particulier de l’art. 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, ils ne pouvaient être compris dans l’expression « lois de la Législature ». Comme nous le verrons plus loin, le contexte historique et législatif du par. 18(2) est très différent de celui de 1867 que la Cour suprême a pris en considération 13.
Selon la Cour, « [l]’article 133 avait pour but d’imposer des garanties linguistiques minimales et de préserver le statu quo préconfédéral » 14 tandis que le paragraphe 18(2) de la Charte est l’aboutissement d’une évolution en matière d’égalité des deux peuples fondateurs, lequel a débuté avec le rapport de la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, l’adoption de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick en 1969 et, enfin, l’inscription dans la Charte des droits linguistiques aux articles 16 à 20 en 1982 et l’article 16.1 en 1993 15.
Somme toute, la plaidoirie des intervenantes, dont notamment celle de Michel Doucet, a réussi à convaincre la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick du bien-fondé d’une décision qui aurait pour but de distinguer la présente affaire de l’arrêt Blaikie. Selon le juge en chef :
j’estime que le contexte historique et législatif de l’adoption du par. 18(2) reflète une dynamique linguistique beaucoup plus féconde que celle qui aurait pu inspirer les rédacteurs de l’art. 133 à l’époque de la Confédération. Le principe de l’égalité de statut réelle des langues officielles et des deux communautés linguistiques officielles inscrit aux art. 16 et 16.1 et le corollaire que les droits linguistiques qui en découlent exigent des mesures gouvernementales pour leur mise en œuvre et créent des obligations pour le gouvernement n’ont rien à voir avec les garanties linguistiques minimales prévues à l’art. 133 16.
Le niveau élevé de l’argumentation a donné du fil à retorde à l’avocat de la province et la Cour d’appel a ultimement donné raison aux intervenantes :
Compte tenu de l’objet exprimé du droit linguistique prévu au par. 18(2), de l’exigence de l’égalité réelle de statut des langues officielles et des deux communautés linguistiques officielles, et de la nature réparatrice de cette disposition, j’estime que ne pas inclure les arrêtés municipaux dans l’expression « lois de la Législature » utilisée au par. 18(2) irait à l’encontre du maintien et de l’épanouissement des collectivités de langue officielle17.
Par conséquent, et puisque la Charte s’applique aux municipalités 18, ces dernières doivent adopter, imprimer et publier leurs arrêtés dans les deux langues officielles19.
La Cour d’appel s’est également prononcée sur l’obligation du gouvernement de s’assurer « par des mesures positives que les gouvernements municipaux respectent l’obligation constitutionnelle prévue au par. 18(2) de laCharte »20. La Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick de 1969 ne prévoyant aucune disposition relative à l’obligation de publier les arrêtés dans les deux langues officielles, la province pouvait soit amender la loi de 1969 ou rédiger une nouvelle loi, laquelle serait conforme à toutes les obligations constitutionnelles prévues aux articles 16 à 20 de la Charte et non seulement à celle prévue au paragraphe 18(2), ce qu’elle fera en 200221.
L’AJEFNB était fière du dénouement. La décision constitue tout simplement le testament juridique du juge en chef Daigle 22. Il s’agit d’une décision tellement bien écrite, bien recherchée et bien fondée, qu’en plus d’être le testament juridique du juge Daigle, elle est arrivée comme un cadeau, le 20 décembre 2001!
C – Le Code des droits linguistiques
Pendant ce temps, l’un des dossiers importants de l’AJEFNB était celui du Code des droits linguistiques. S’appuyant sur la jurisprudence récente de la Cour suprême du Canada, Michel Doucet, qui a rédigé le projet de Code d’un bout à l’autre, fait état de l’inconstitutionnalité de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick de 1969. Il s’agissait d’un projet ambitieux, mais visionnaire.
En mars 2001, l’AJEFNB a tenu un symposium sur les droits linguistiques, lors duquel nous avons analysé les dispositions du Code des droits linguistiques. À l’égard des municipalités, le Code suggérait un modèle quantitatif, c’est-à-dire là où le nombre le justifie. Le pourcentage proposé était celui énoncé dans le rapport Vers l’égalité des langues officielles au Nouveau-Brunswick, communément appelé le rapport Poirier-Bastarache 23 :
Toutes les cités et toutes les municipalités constituées du Nouveau-Brunswick dans lesquelles la communauté de langue officielle la moins nombreuse atteint vingt pour cent ou plus de la population totale selon le dernier recensement disponible sont tenues de publier en même temps dans les deux langues officielles : a) tous leurs arrêtés; b) tous les procès-verbaux des séances de leur conseil municipal et de ses comités; et c) tous les avis publics, factures, relevés, contraventions et autres communications au grand public 24.
Cet article, tiré du Code des droits linguistiques, allait se retrouver, presqu’intégralement, dans la nouvelle Loi sur les langues officielles de 2002. D’ailleurs, le juge Daigle avait référence au rapport Poirier-Bastarache dans sa décision, lançant ainsi une perche au gouvernement et leur pointant la direction à emprunter :
Ce rapport reconnaît qu’une approche possible qui respecterait l’obligation constitutionnelle du principe de l’égalité des langues officielles pourrait comprendre une politique linguistique où les services municipaux seraient accessibles dans les deux langues officielles seulement où le nombre le justifierait. Il s’agit d’une approche quantitative où certaines municipalités seraient déclarées bilingues en fonction d’un pourcentage de leur population qui compterait une minorité de l’une des deux langues officielles. Le pourcentage reste à être déterminé par le législateur 25.
Nous avions également informé l’Association francophone des municipalités que la Cour d’appel allait rendre une décision dans laquelle elle allait peut-être reconnaître un bilinguisme mur à mur. Le cas échéant, les arrêtés allaient devoir être publiés dans les deux langues officielles tant à Caraquet qu’à Petit-Rocher. Si les maires, membres de l’Association, étaient d’avis que pareille situation était inacceptable, ils devaient se manifester. Environ 18 maires sont venus parler de langues officielles au symposium, du jamais vu, mais cette participation était représentative de l’intérêt qu’ils accordaient à la question.
*
* *
Après la décision de la Cour d’appel, le gouvernement a dû agir à l’intérieur d’un an, selon le délai 26 prévu par la Cour.
La province a préféré ne pas faire appel de la décision à la Cour suprême du Canada. Pareille décision s’explique peut-être par le fait qu’une situation historique s’est produite durant ces années : il y avait une majorité de juges francophones à la Cour suprême du Canada 27. Elle a été de courte durée, mais elle était bien réelle. À cette époque, il semblerait également y avoir eu une sensibilité particulière pour l’avancement des droits linguistiques. Soyons bien clairs : les juges sont tous neutres, mais certains sont plus neutres que d’autres!
L’arrêt Charlebois c. Moncton constitue un arrêt de principe en matière de droits linguistiques au Nouveau-Brunswick, et c’est notamment grâce à Michel Doucet qui a su expliquer avec brio à la Cour d’appel pourquoi elle ne devrait pas être liée par les arrêts Blaikie no 2 et Société des Acadiens. Cela dit, le résultat aurait pu être tout autrement. Il faut être vigilent lorsqu’on intente de telle poursuite. DansCharlebois c. Saint-Jean28, on a reculé en tant que communauté parce que le dossier n’a pas été bien plaidé en première instance. Il est important de bien préparer les arguments quand on intente une poursuite du genre pour ne pas faire fausse route, ni guider la Cour sur une fausse route, et c’est ce qui est arrivé dans Charlebois c. Saint-Jean.
II - DROIT MUNICIPAL
En matière de municipalités et de droits linguistiques, l’arrêt Charlebois c. Moncton est venu changer la donne. S’agissant des municipalités, la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick de 1969 ne prévoyait qu’une seule disposition :
Tout conseil municipal peut déclarer par résolution que l’une ou l’autre des langues officielles ou les deux peuvent être utilisées dans toute délibération ou à toute réunion de ce conseil 29.
Bref, les municipalités pouvaient utiliser le statut linguistique qu’il souhaitait pour mener les affaires internes. À la suite de l’arrêtCharlebois c. Moncton et de l’adoption de laLoi sur les langues officielles de 2002 30, les municipalités, dont la population de langue officielle minoritaire atteint au moins 20 %, ont maintenant l’obligation de publier leurs arrêtés dans les deux langues officielles31; une obligation qu’ont également les cités, indépendamment du taux de population de langue officielle minoritaire 32.
En s’appuyant sur le raisonnement énoncé dans l’arrêt Charlebois, le législateur a également prévu que, pour les municipalités dont la population de langue officielle minoritaire atteint au moins 20 %, ces dernières devront offrir « les services et les communications prescrits par règlement » dans les deux langues officielles et, bien que sa population de langue officielle minoritaire n’atteigne pas 20 %, toute municipalité qui le souhaite peut se déclarer liée par les dispositions de laLoi sur les langues officielles33.
S’agissant des services et des communications, le Règlement sur les services et communications - Loi sur les langues officielles prévoit toute une gamme de services et de communications ainsi que la date limite à laquelle le service ou la communication doit se faire dans les deux langues officielles 34. À titre d’exemples, mentionnons que les nouveaux sites Web devaient paraître dans les deux langues officielles au 31 décembre 2002, mais les sites Web existants devaient l’être au plus tard le 31 décembre 2003. Le plus long délai étant accordé aux panneaux de circulations existants; aux avis publics, informations, programmes éducatifs et réponses aux demandes de renseignements concernant les services de prévention du crime; aux avis publics, informations et réponses aux demandes de renseignements concernant les services d’aménagement et de développement communautaire et les services relatifs à l’application de la Loi sur l’urbanisme; et aux avis publics, informations, programmes éducatifs et réponses aux demandes de renseignements concernant les services de prévention d’incendies qui devaient être offerts dans les deux langues officielles au plus tard le 31 décembre 2005.
Enfin, il convient de noter que les commissions de services régionaux sont tenues d’offrir les services et les communications prescrits par règlement 35 dans les deux langues officielles lorsque la population de langue officielle minoritaire constitue au moins 20 % du territoire qu’elle dessert ou si le territoire en question comprend une cité ou une municipalité qui répond aux critères du paragraphe 35(1) et 35(2).
Bref, ces droits linguistiques ont vu le jour comme suite à l’arrêt Charlebois c. Moncton et Michel Doucet en a été un acteur important !
Merci et bravo Michel !
* Il convient de noter que le présent texte a été rédigé avec la collaboration de Philippe Morin.
* * Avocat, maire du village de Petit-Rocher et président de l’Association francophone des municipalités du Nouveau-Brunswick.
1 LRN-B 2011, c 198.
2 Débats de la Chambre des communes, vol. 132, no 193, 3e session, 34e législature, 11 décembre 1992, le député d’Acadie-Bathurst, M. Douglas Young : « En ce jour où nous sommes appelés à finaliser ce long combat destiné à assurer l’harmonie et l’épanouissement des deux communautés linguistiques officielles du Nouveau-Brunswick, il faut également souligner la contribution de plusieurs personnes qui ont travaillé souvent dans l’ombre pour que nous puissions vivre ce moment historique. Je pense notamment au père Clément Cormier, à Martin Légère, à Raymond Gionet, au Dr Marcel Sormany, au Dr Alexandre Savoie, à Antonine Maillet, à Hédard Robichaud, à Blanche Bourgeois, aux religieuses qui ont si bien œuvré en Acadie, à Gilbert Finn, à Marie-Esther Robichaud, à Michel Doucet, à Michel Bastarache et beaucoup d’autres qui ont travaillé sans relâche afin que les droits des Acadiens et des Acadiennes du Nouveau-Brunswick soient reconnus au même titre que ceux de la majorité ».
3Procureur général du Québec c Blaikie et autres , [1981] 1 RCS 312.
4Ibid à la p 334.
5Charlebois c Nouveau-Brunswick , 2000 CanLII 4812.
6 La Société des Acadiens et Acadiennes du Nouveau-Brunswick (SAANB) est devenu depuis la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB).
7Charlebois c Mowat , 2001 NBCA 117, 242 NBR (2d) 259 [Charlebois]. Nous avons eu droit à un argument massue de la part de M. Charlebois. S’appuyant sur l’arrêt Eldridgec. Colombie-Britannique (Procureur général)[7], il explique à la Cour d’appel qu’il a compté tous les mots de la Charte et que le mot hôpital n’y apparaît aucunement, mais cela n’a pas empêché la Cour suprême du Canada de reconnaître qu’un malentendant avait droit au service d’un interprète et qu’un raisonnement similaire s’appliquait au sujet des municipalités. Le mot municipalité n’apparaît pas dans la Charte, mais ça s’applique quand même.
8 Il convient de noter que la Cour suprême du Canada venait à peine de rendre son opinion dans le Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1988] 2 RCS 217, où elle a fait état du principe constitutionnel non-écrit de la protection des minorités, et sa décision dans l’arrêt R c Beaulac, [1999] 1 RCS 768 [Beaulac] où elle a affirmé le principe d’interprétation qui devait être utilisé en matière de droits linguistiques.
9Charlebois , supra note 7 au para 6.
10Beaulac , supra note 8 au para 25 : « Les droits linguistiques doivent dans tous les cas être interprétés en fonction de leur objet, de façon compatible avec le maintien et l’épanouissement des collectivités de langue officielle au Canada ».
11Charlebois , supra note 7 au para 44.
12Ibid aux para 47-48.
13Ibid au para 82.
14Ibid au para 90.
15Ibid au para 92.
16Ibid au para 93.
17Ibid au para 95.
18Ibid au para 98.
19Ibid au para 110.
20Ibid au para 111.
21Loi sur les langues officielles , LNB 2002, c O-0.5.
22 Voir notamment Serge Rousselle, « L’arrêt Charlebois : une décision sans faille en matière de droits linguistiques » (2002) 51 RD UNB 15-34.
23 « Vers l’égalité des langues officielles au Nouveau-Brunswick », 1982 à la p 371.
24 Association des juristes d’expression française du Nouveau-Brunswick, Code des droits linguistiques du Nouveau-Brunswick, présentée dans le cadre du Symposium sur l’égalité linguistique, 2001 à la p 25, en ligne : <http://www.ajefnb.nb.ca/wp-content/uploads/2013/04/CodeDroitsLinguistiques.pdf>.
25Charlebois , supra note 7 au para 127.
26 Autre moment mémorable : la Cour d’appel a posé la question suivante à M. Charlebois : « si on invalide les arrêtés, il faudra prévoir un délai. Vous réalisez, M. Charlebois, que, si on invalide les arrêtés municipaux de la Ville de Moncton, il n’y aura plus d’arrêtés qui s’appliquent ». Question à laquelle M. Charlebois aurait répondu : « Pas de problème de mon côté ».
27 Au moment où la Cour d’appel a rendu sa décision dans l’arrêt Charlebois c. Moncton, la Cour suprême du Canada était composée de la juge en chef Beverley McLachlin, Claire L’Heureux-Dubé, Charles Doherty Gonthier, Frank Iacobucci, John C. Major, William Ian Corneil Binnie, Michel Bastarache, Louis LeBel et Louise Arbour.
28Charlebois c Saint John (Ville) , 2005 CSC 74, [2005] 3 RCS 563; Charlebois c La Ville de Saint-Jean, 2004 NBCA 49, 275 RN?B (2e) 203; et Charlebois c Saint John (Ville de), 2002 NBQB 382, 255 RN-B (2e) 396.
29 LRNB 1973, c O-1, art 11.
30 LN-B 2002, c O-0.5.
31Ibid , art 35(1).
32Ibid , art 35(2).
33Ibid , art 36 et 37.
34 Règl du N-B 2002-63.
35Ibid , art 4.