Michel Doucet et les tribunaux
MISE EN CONTEXTE : DU PROFESSEUR AU PLAIDEUR
En préparation de ce commentaire, j’ai bien entendu consulté tous les arrêts de droits linguistiques dans lesquels Michel Doucet a plaidé, soit comme partie, soit à titre d’intervenant. Pour bien saisir l’essentiel et l’impact de ses interventions, une mise en situation s’impose. Rappelons-nous le premier mai 1986. Me Doucet s’en rappelle lui aussi, puisqu’il a dit à Format libre à la radio de Radio-Canada le 19 juillet 2016, que ce fut une journée noire pour les droits linguistiques 1 ! En effet, le Canada venait d’apprendre que la Cour suprême du Canada avait rejeté l’appel de la Société des Acadiens du Nouveau-Brunswick, qui voulait obtenir le droit constitutionnel d’être entendue et comprise par un juge qui parle la langue des parties… Du même souffle, la Cour rejetait la demande de notre collègue2 Roger Bilodeau3 et de Duncan MacDonald 4, qui tous deux contestaient leur contravention routière au motif qu’elle était unilingue et pas dans la langue du prévenu.
En préparation de ce commentaire, j’ai bien entendu consulté tous les arrêts de droits linguistiques dans lesquels Michel Doucet a plaidé, soit comme partie, soit à titre d’intervenant. Pour bien saisir l’essentiel et l’impact de ses interventions, une mise en situation s’impose. Rappelons-nous le premier mai 1986. Me Doucet s’en rappelle lui aussi, puisqu’il a dit à Format libre à la radio de Radio-Canada le 19 juillet 2016, que ce fut une journée noire pour les droits linguistiques 1 ! En effet, le Canada venait d’apprendre que la Cour suprême du Canada avait rejeté l’appel de la Société des Acadiens du Nouveau-Brunswick, qui voulait obtenir le droit constitutionnel d’être entendue et comprise par un juge qui parle la langue des parties… Du même souffle, la Cour rejetait la demande de notre collègue2 Roger Bilodeau3 et de Duncan MacDonald 4, qui tous deux contestaient leur contravention routière au motif qu’elle était unilingue et pas dans la langue du prévenu.
Bien sûr, nous n’étions pas à l’ère d’internet, il fallait se fier aux fax que nous envoyaient les journalistes du sommaire de la décision pour en prendre connaissance. J’ai un vif souvenir des réunions de corridor que nous avions eues à ce moment-là (dans l’ancien édifice), et ce qui en ressort, c’est l’air catastrophé que nous avions car non seulement la Cour suprême avait rejeté la demande, mais elle l’avait fait en se basant sur une règle d’interprétation qui allait nous hanter pendant bien des années à venir : la fameuse théorie du compromis politique des droits linguistiques, nécessitant une interprétation littérale. Nous mesurions l’ampleur de la débâcle alors que nous cherchions au contraire à implanter et faire vivre les nouveaux droits linguistiques constitutionnels qui venaient d’être conférés par la Charte canadienne des droits et libertés.
Il n’est pas étonnant qu’une bonne partie de notre carrière a consisté ensuite à essayer de nous libérer des griffes de cette théorie nuisible. Est-ce là que le désir de s’impliquer devant les tribunaux est né pour Michel ? En tout cas, il a contribué, comme on va le voir, à dissiper ce nuage.
On m’a soumis une liste d’articles dans lesquels il analysait les conséquences nuisibles de la trilogie de 1986, qu’il avait qualifié dans la revue Égalité, la même année, de « démarche régressive » 5. Il ne faut pas s’étonner (même si je déborde ici de mon sujet), que pendant l’épisode des négociations constitutionnelles entourant l’Accord du Lac Meech et jusqu’à l’enchâssement des principes de la Loi sur l’égalité des communautés linguistiques au Nouveau-Brunswick 6 , son action politique auprès de la Société des Acadiens du Nouveau-Brunswick et dans maints autres forums a consisté à revendiquer une obligation constitutionnelle néo-brunswickoise de promouvoir la dualité linguistique, puisque la Cour suprême refusait cette promotion. La recherche d’une clause interprétative insérée dans la Constitution visait à contrer les conséquences négatives de la trilogie et, paradoxalement, respectait l’injonction du juge Beetz de s’adresser aux politiciens plutôt qu’aux juges afin de faire avancer les droits linguistiques. Une clause d’interprétation constitutionnelle favorable aurait clarifié le droit relatif à l’interprétation des articles 16 à 23.
Si l’Accord du Lac Meech n’a jamais vu le jour, en partie parce que le débat entre « protéger » ou « promouvoir » la dualité linguistique heurtait le gouvernement du Québec, le cargo de la jurisprudence s’apprêtait néanmoins à se réorienter. Déjà dans l’arrêt R. c.Mercure7, le juge La Forest, au nom de la majorité, reclassait les droits linguistiques au rang de droits fondamentaux, tandis que dans le Renvoi relatif au projet de Loi 30, An Act to Amend the Education Act (Ont.) 8 en Ontario, la juge Wilson, au nom de la majorité (dans laquelle on retrouve aussi les juges Dickson et La Forest), mentionnait que les tribunaux pouvaient donner vie aux compromis politiques qui deviennent des droits constitutionnels. Puis l’arrêt Mahe c. Alberta 9 ouvrit carrément une brèche en revenant à une interprétation de l’article 23 de la Charte fondée sur son objet, qui est le développement des communautés. S’ensuivit la nouvelle trilogie,Renvoi relatif à la sécession du Québec10, R. c. Beaulac11 et Arsenault-Cameron c. Île-du-Prince-Édouard 12, qui ont restauré l’interprétation par l’objet des droits linguistiques, injecté une dose d’égalité réelle dans l’analyse et consacré l’obligation d’agir des gouvernements pour mettre en œuvre ces droits, ce qui rendrait leurs omissions inconstitutionnelles. Cela n’échappa pas à Michel Doucet qui, dans une série de trois articles commentant ces développements, en tirait des conséquences audacieuses : une obligation pour le Nouveau-Brunswick d’adopter une nouvelle loi sur les langues officielles, une extension de l’article 23 de la Charte au préscolaire et au post-secondaire surtout à la lumière de l’article 16.1, penser à la promotion plutôt que la protection13.
C’est justement après la trilogie que l’on le voit s’impliquer dans des litiges devant les tribunaux. Avait-il compris que le changement de règle d’interprétation permettait maintenant d’espérer que les tribunaux allaient se montrer plus généreux ?
J’ai classé les affaires dans lesquelles il a obtenu une décision judiciaire, même interlocutoire. J’ai dénombré 14 affaires, dont 6 impliquent des questions de procédure dont certaines sont très importantes, deux causes électorales, deux causes purement scolaires et six causes de droit linguistique proprement dit, où l’interprétation joue un grand rôle.
Charlebois c. Moncton
Le premier dossier linguistique dans lequel il intervient au nom de l’Association des juristes d'expression française du Nouveau-Brunswick est celui de Charlebois c Moncton 14. L’affaire repose sur l’interprétation qu’il convient de donner à l’expression « Actes de la législature » que l’on retrouve au paragraphe 18(2) de la Charte pour savoir si cela inclut les arrêtés municipaux. Lourde tâche puisque d’une part la Cour suprême a dit dans les deux arrêts Blaikie 15 et dans l’arrêt Forest16 , que le terme équivalent de l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 n’incluait pas les arrêtés, que dans l’arrêt Société des Acadiens la Cour constatait que les droits de la Charte reproduisent ceux de la L.C. 1867 et reçoivent donc le même contenu, et enfin que dans l’arrêt Beaulac la Cour avait dit en 1999 que tous les droits linguistiques s’interprètent de la même façon. À la surprise des observateurs, la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick distingue Blaikie et Forest de la situation du Nouveau-Brunswick, invoque pour la première fois l’article 16.1 de la Charte et constate que les arrêtés des municipalités de la province doivent être bilingues, au contraire de ceux du Québec et du Manitoba. Et enfin pour tenir compte de la démographie particulière du Nouveau-Brunswick, la Cour se range à la suggestion de l’intervenante l’AMFNB qui a recours au rapport Poirier-Bastarache 17 pour imposer le bilinguisme seulement aux grandes villes et aux municipalités comptant 20 % de population de l’autre langue officielle. Selon la Cour, qui se prononce alors en obiter, cette restriction pourrait passer le test de raisonnabilité de l’article 1 de la Charte. On sait que la Loi sur les langues officielles a été modifiée suite à cette décision18 et a adopté la solution proposée par Me Doucet devant la Cour d’appel. Voilà un exemple frappant d’une influence directe sur le contenu des droits linguistiques.
Forum des maires de la péninsule acadienne c. Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments)
Dans l’affaire Forum des maires 19, un scénario semblable se déroule. Il s’agit de vérifier si le déménagement de postes de l’Agence canadienne d’inspection des aliments de la péninsule vers le sud-est va constituer une violation des parties IV et VII de laLoi sur les langues officielles du Canada 20. La Cour fédérale accepte de reconnaitre une violation de la Partie IV, à l’instar du Commissaire aux langues officielles du Canada. Elle reconnaît aussi une violation de la partie VII en ce que l’Agence n’aurait pas consulté la communauté avant de prendre sa décision. Par ailleurs, la Cour d’appel fédérale, en obiter, statue que la partie VII ne créait que des engagements politiques et qu’on ne pouvait par conséquent conclure à une violation juridique. La Cour d’appel fédérale confirme cette analyse, malgré les arguments présentés par Me Doucet. Un appel est présenté à la Cour suprême du Canada, qui accepte de l’entendre, mais dans l’intervalle la loi est modifiée et clarifie explicitement ce point, d’où le désistement de l’appel devenu théorique. Cette fois, si la démarche judiciaire n’a pas conduit au résultat espéré, elle a quand même, avec d’autres facteurs, provoqué une modification législative allant dans le sens d’un accroissement des droits linguistiques justiciables. On sait que Michel Doucet s’est ensuite impliqué dans la contestation de la fermeture de l’ancien Programme de contestation judiciaire du Canada en 2006 et que n’eut été du règlement hors-cour ayant conduit à la création du Programme d’appui aux droits linguistiques (qui a maintenant été remplacé par un nouveau Programme de contestation judiciaire), nous aurions un jugement qui aurait analysé les conséquences de la modification de la partie VII en 2005. Le professeur Doucet a publié un excellent article sur cette affaire 21.
Charlebois c. Saint John
L’affaire Charlebois c. Saint John 22 représente une autre cause linguistique où l’interprétation des lois joue un rôle fondamental. Une municipalité du Nouveau-Brunswick doit- elle utiliser la langue du justiciable dans une affaire civile, comme elle doit le faire au quasi-pénal ? Ou peut-elle, comme le justiciable, choisir sa langue de procédure ? Malgré les efforts de Me Doucet et d’autres, la majorité de la Cour refuse d’appliquer la règle d’interprétation invoquant les valeurs de la Charte pour donner un sens à la nouvelle Loi sur les langues officielles de la province. Selon la majorité, la loi est claire et quand elle a voulu imposer des obligations aux municipalités elle l’a dit clairement. Son silence est donc aussi éloquent. Même si cela semble contredire la position antérieure de la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick selon laquelle une municipalité est une institution du gouvernement provincial qui devrait avoir les mêmes obligations, la Cour suprême du Canada prend soin de dire que sa tâche consiste uniquement à interpréter la loi et que la constitutionnalité de celle-ci n’est pas en cause. En tant qu’intervenant, Me Doucet ne peut pas changer les termes du débat. La constitutionnalité de cet aspect de la loi demeure une question ouverte, tandis que la règle d’interprétation de Charlebois c. Saint John et l’interaction entre les lois linguistiques et les droits linguistiques de la Charte devient plus confuse que lors de l’arrêt Beaulac.
Société des Acadiens et Acadiennes du Nouveau-Brunswick Inc. c. Canada
Ce qu’il est convenu d’appeler l’affaire Paulin 23 soulève aussi une question fondamentale, cette fois au niveau de la répartition des pouvoirs fédéraux-provinciaux en matière linguistique et des conséquences de la disparité entre les régimes linguistiques de chaque juridiction quand une institution fédérale exerce des responsabilités provinciales.
Mme Paulin se fait arrêter par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) dans une région du Nouveau-Brunswick qui n’est pas à demande importante selon la Loi sur les langues officielles fédérale et son règlement d’application. Le Commissariat aux langues officielles du Canada refuse d’enquêter, à bon droit : il n’a pas compétence. Par contre, la GRC peut-elle alors se soustraire aux exigences du régime linguistique du Nouveau-Brunswick, qui ne connait aucune limite territoriale sur la langue des services ? La Cour suprême du Canada clarifie plusieurs questions fondamentales : une institution fédérale ne perd pas son statut quand elle agit pour une province et demeure donc en tout temps liée par la Loi sur les langues officielles, ce qui protège donc les droits linguistiques des gens dans le reste du pays face à la GRC. Par contre, une institution liée par contrat à une province doit aussi respecter les lois provinciales quand celles-ci vont plus loin, comme c’est le cas ici. Le paragraphe 20(2) de la Charte et la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick s’appliquent donc à la GRC. L’arrêt Paulin a peut-être contribué au nouvel article 31 de la Loi sur les langues officielles qui clarifie les obligations linguistiques des corps policiers œuvrant dans la province 24.
Caron c. Alberta
La dernière cause linguistique que je veux évoquer est l’arrêtCaron25. Dans cette affaire, Me Doucet représente avec d’autres l’intervenante Association Canadienne Française de l’Alberta (ACFA). Sa tâche est plus particulièrement de proposer les règles d’interprétation qui doivent servir à établir le sens de certaines expressions. L’affaire Caron est complexe et implique plusieurs documents dont des adresses du Sénat et de la Chambre des communes, un décret du gouverneur en conseil annexant la Terre de Rupert au Canada, une proclamation royale garantissant aux Métis le respect de tous leurs droits. La province prétextait la version en anglais de ces documents, plus favorable à ses thèses, et Me Doucet, bien entendu, arguait la théorie de l’égale valeur de chaque version, ce qui permettait d’utiliser la version en français plus favorable à la position de M. Caron. Malgré ses efforts et ceux de toutes les parties concernées, la Cour suprême du Canada rejeta ces arguments. La majorité va même jusqu’à dire que sa conclusion autour de l’inexistence d’une obligation d’adopter ses lois dans les deux langues ne changerait pas, quelle que soit la version en français ou en anglais que l’on retiendrait. Au moins, Me Doucet peut se consoler en se disant que son argument n’a pas été rejeté par la majorité : il a simplement été ignoré !
La prochaine série de décisions porte sur des dossiers scolaires.
Solski (Tuteur de) c. Québec (Procureur général)
Michel Doucet est aussi intervenu sur les dossiers scolaires. L’arrêt Solski26 est une affaire visant la définition des ayants-droit au Québec. Me Doucet représente deux intervenantes, la Commission Nationale des Parents Francophones et la Fédération Nationale des Conseils Scolaires Francophones, et l’intervention vise à rendre la Cour sensible à l’effet que pourrait avoir son interprétation sur les admissions dans les écoles de langue française hors-Québec. Mission accomplie. Le critère retenu par la Cour, celui d’un engagement authentique à cheminer dans la langue de la minorité, garde la porte ouverte aux politiques d’admission pratiquées hors-Québec dans un but de réparation (on sait que dansCommission scolaire francophone du Yukon 27 en 2015, la Cour a spécifié que ces politiques doivent résulter d’une délégation expresse de la province). On trouve aussi la trace de ses arguments dans les facteurs que les autorités doivent considérer quand elles évaluent cet engagement.
Chubbs v. Newfoundland and Labrador
L’affaire Chubbs 28 marque encore ici une avancée originale dans la mise en œuvre des droits linguistiques. L’affaire implique quelques enfants d’un village de la côte du Labrador, qui fréquentent l’école québécoise à quelques kilomètres en vertu d’une entente entre les deux provinces. La Cour avalise l’entente, impose à Terre-Neuve le coût de l’instruction de ces élèves, Terre-Neuve doit reconnaître le diplôme, et la Cour mentionne que le Conseil scolaire francophone de Terre-Neuve-et-Labrador doit veiller à ce que certains cours aient une composante terre-neuvienne (histoire, géographie, français, etc.).
Il me reste enfin à aborder en conclusion les dossiers procéduraux.
Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l'Éducation) 29 .
Cette décision est l’une des plus importantes dans la carrière de plaideur de Michel Doucet. L’enjeu est véritablement procédural, mais véritablement fondamental aussi : le juge LeBlanc a-t-il outrepassé sa fonction judiciaire quand, au procès, il a rendu une ordonnance obligeant le gouvernement à rendre compte périodiquement de l’exécution de ses autres ordonnances ? La majorité de la Cour suprême du Canada accepte la conclusion selon laquelle cette réparation est convenable et juste au sens du paragraphe 24(1) de la Charte canadienne. La Cour souligne aussi, ce qui a servi ensuite dans d’autres affaires, la nécessité pour les gouvernements d’agir avec célérité pour mettre en œuvre les droits linguistiques. Non seulement doivent-ils agir, mais ils doivent le faire en temps utile. Malheureusement, ce précédent important n’a pas été revendiqué souvent par la suite. En 2006, la juge Moreau a refusé d’émettre une ordonnance de suivi dans l’affaireFédération franco-ténoise c. Procureur général du Canada 30 même si cela lui avait été demandé. Le juge Ouellette l’a fait en 2011 dans l’affaire Commission scolaire francophone du Yukon No. 23 c. Procureure générale du Territoire du Yukon 31 , mais le jugement a été renversé pour cause de crainte raisonnable de partialité. En 2011, une juge de la cour fédérale accorde une telle ordonnance aux Thibodeau pour une violation systémique de la Loi sur les langues officielles par Air Canada, mais la Cour d’appel puis la Cour suprême l’annulent au motif qu’elle n’est pas assez précise32. Bref, Doucet-Boudreau demeure un cas d’espèce et il faut souhaiter que les tribunaux deviendront moins frileux pour accorder ce type de recours.
LeBlanc c. Nouveau-Brunswick
L’affaire LeBlanc 33 concerne une demande d’injonction pour bloquer une élection scolaire qui doit avoir lieu dans 5 jours. La demande est rejetée notamment parce que les inconvénients pour les élections surpassent les avantages aux demandeurs.
Caraquet (Ville) c. Nouveau-Brunswick (Ministre de la Santé et du mieux-être)
L’affaire Caraquet vise une tentative de bloquer le transfert de certains services médicaux de l’hôpital de Caraquet vers d’autres établissements ; la Cour du Banc de la Reine rejette l’action au motif que les demandeurs n’ont pas d’abord porté plainte auprès du Commissariat aux langues officielles. La Cour d’appel renverse cette conclusion : une plainte au Commissariat n’est pas un prérequis au recours judiciaire au Nouveau-Brunswick34. C’était la position de Me Doucet et c’est important pour assurer l’accès à la justice.
Sonier c. Ambulance Nouveau-Brunswick Inc.
Dans l’affaire Sonier 35, la défenderesse et le gouvernement admettaient une violation de la Loi sur les langues officielles dans le cas des demandeurs ; mais les parties voulaient soumettre un exposé de cause pour savoir si la Loi avait préséance sur les conventions collectives. La Cour rejette leur demande, notamment parce que le syndicat n’était pas partie aux procédures et qu’il manquait de fondement factuel. Pourtant, la question était purement juridique et méritait une réponse judiciaire 36.
Raîche c. Canada (Procureur général)
Il me reste à évoquer l’affaire dont Michel, lors de cette entrevue à format libre, s’est dit le plus fier de toute sa carrière de plaideur : l’affaire Raîche c. Canada (Procureur général) 37, où la Cour fédérale a admis que le critère de « communauté des intérêts » qui doit être appliqué lors des révisions de carte électorale peut comprendre des enjeux linguistiques et culturels. Non seulement la cause a-t-elle conduit à réintégrer certains villages acadiens dans une circonscription fédérale majoritairement francophone, mais ce précédent vient d’être invoqué avec succès dans le jugement récent en Nouvelle-Écosse, même si techniquement la ratio repose sur les pouvoirs réels de la Commission de révision qui avait, elle, appliqué ce critère pour garder les circonscriptions acadiennes protégées38. La représentation des minorités aux instances parlementaires n’est pas un droit linguistique comme tel, mais c’est un droit des minorités qui contribue à la sauvegarde des droits linguistiques.
Que retenir de ces interventions diverses ? D’abord, on peut constater que Me Doucet ne travaille jamais seul, il est toujours accompagné de plaideurs et plaideuses qui peuvent l’aider dans son travail. De plus, il fait constamment preuve d’un grand professionnalisme, reste courtois mais ferme avec ses adversaires et connait l’importance des procédures et des règles pour une bonne administration de la justice.
Ensuite, les dossiers qu’il a menés présentaient un degré souvent élevé de difficultés. Il a établi des précédents importants (je citerais les trois principaux comme étant l’arrêt Charlebois c. Moncton, l’arrêt Doucet-Boudreau et l’affaire Raîche). Il a beaucoup insisté sur les règles d’interprétation judiciaire des droits linguistiques, leur lien avec la culture et l’égalité réelle. Cet aspect de sa carrière me semble révéler une grande confiance envers le pouvoir judiciaire et une certaine déception à l’égard des mécanismes politiques. Il sent peut-être qu’une minorité, dans notre système gouvernemental, doit compenser sa faiblesse politique par une force juridique afin de rétablir l’équilibre. Ses interventions débordent largement le cadre des droits linguistiques proprement dits et leur donnent une dimension sociale et politique importantes. S’il a perdu certaines batailles, à long terme il aura gagné la guerre, et nous tous par le fait même.
Il n’est pas étonnant qu’une bonne partie de notre carrière a consisté ensuite à essayer de nous libérer des griffes de cette théorie nuisible. Est-ce là que le désir de s’impliquer devant les tribunaux est né pour Michel ? En tout cas, il a contribué, comme on va le voir, à dissiper ce nuage.
On m’a soumis une liste d’articles dans lesquels il analysait les conséquences nuisibles de la trilogie de 1986, qu’il avait qualifié dans la revue Égalité, la même année, de « démarche régressive » 5. Il ne faut pas s’étonner (même si je déborde ici de mon sujet), que pendant l’épisode des négociations constitutionnelles entourant l’Accord du Lac Meech et jusqu’à l’enchâssement des principes de la Loi sur l’égalité des communautés linguistiques au Nouveau-Brunswick 6 , son action politique auprès de la Société des Acadiens du Nouveau-Brunswick et dans maints autres forums a consisté à revendiquer une obligation constitutionnelle néo-brunswickoise de promouvoir la dualité linguistique, puisque la Cour suprême refusait cette promotion. La recherche d’une clause interprétative insérée dans la Constitution visait à contrer les conséquences négatives de la trilogie et, paradoxalement, respectait l’injonction du juge Beetz de s’adresser aux politiciens plutôt qu’aux juges afin de faire avancer les droits linguistiques. Une clause d’interprétation constitutionnelle favorable aurait clarifié le droit relatif à l’interprétation des articles 16 à 23.
Si l’Accord du Lac Meech n’a jamais vu le jour, en partie parce que le débat entre « protéger » ou « promouvoir » la dualité linguistique heurtait le gouvernement du Québec, le cargo de la jurisprudence s’apprêtait néanmoins à se réorienter. Déjà dans l’arrêt R. c.Mercure7, le juge La Forest, au nom de la majorité, reclassait les droits linguistiques au rang de droits fondamentaux, tandis que dans le Renvoi relatif au projet de Loi 30, An Act to Amend the Education Act (Ont.) 8 en Ontario, la juge Wilson, au nom de la majorité (dans laquelle on retrouve aussi les juges Dickson et La Forest), mentionnait que les tribunaux pouvaient donner vie aux compromis politiques qui deviennent des droits constitutionnels. Puis l’arrêt Mahe c. Alberta 9 ouvrit carrément une brèche en revenant à une interprétation de l’article 23 de la Charte fondée sur son objet, qui est le développement des communautés. S’ensuivit la nouvelle trilogie,Renvoi relatif à la sécession du Québec10, R. c. Beaulac11 et Arsenault-Cameron c. Île-du-Prince-Édouard 12, qui ont restauré l’interprétation par l’objet des droits linguistiques, injecté une dose d’égalité réelle dans l’analyse et consacré l’obligation d’agir des gouvernements pour mettre en œuvre ces droits, ce qui rendrait leurs omissions inconstitutionnelles. Cela n’échappa pas à Michel Doucet qui, dans une série de trois articles commentant ces développements, en tirait des conséquences audacieuses : une obligation pour le Nouveau-Brunswick d’adopter une nouvelle loi sur les langues officielles, une extension de l’article 23 de la Charte au préscolaire et au post-secondaire surtout à la lumière de l’article 16.1, penser à la promotion plutôt que la protection13.
C’est justement après la trilogie que l’on le voit s’impliquer dans des litiges devant les tribunaux. Avait-il compris que le changement de règle d’interprétation permettait maintenant d’espérer que les tribunaux allaient se montrer plus généreux ?
I – LES DÉCISIONS JUDICIAIRES
J’ai classé les affaires dans lesquelles il a obtenu une décision judiciaire, même interlocutoire. J’ai dénombré 14 affaires, dont 6 impliquent des questions de procédure dont certaines sont très importantes, deux causes électorales, deux causes purement scolaires et six causes de droit linguistique proprement dit, où l’interprétation joue un grand rôle.
Charlebois c. Moncton
Le premier dossier linguistique dans lequel il intervient au nom de l’Association des juristes d'expression française du Nouveau-Brunswick est celui de Charlebois c Moncton 14. L’affaire repose sur l’interprétation qu’il convient de donner à l’expression « Actes de la législature » que l’on retrouve au paragraphe 18(2) de la Charte pour savoir si cela inclut les arrêtés municipaux. Lourde tâche puisque d’une part la Cour suprême a dit dans les deux arrêts Blaikie 15 et dans l’arrêt Forest16 , que le terme équivalent de l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 n’incluait pas les arrêtés, que dans l’arrêt Société des Acadiens la Cour constatait que les droits de la Charte reproduisent ceux de la L.C. 1867 et reçoivent donc le même contenu, et enfin que dans l’arrêt Beaulac la Cour avait dit en 1999 que tous les droits linguistiques s’interprètent de la même façon. À la surprise des observateurs, la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick distingue Blaikie et Forest de la situation du Nouveau-Brunswick, invoque pour la première fois l’article 16.1 de la Charte et constate que les arrêtés des municipalités de la province doivent être bilingues, au contraire de ceux du Québec et du Manitoba. Et enfin pour tenir compte de la démographie particulière du Nouveau-Brunswick, la Cour se range à la suggestion de l’intervenante l’AMFNB qui a recours au rapport Poirier-Bastarache 17 pour imposer le bilinguisme seulement aux grandes villes et aux municipalités comptant 20 % de population de l’autre langue officielle. Selon la Cour, qui se prononce alors en obiter, cette restriction pourrait passer le test de raisonnabilité de l’article 1 de la Charte. On sait que la Loi sur les langues officielles a été modifiée suite à cette décision18 et a adopté la solution proposée par Me Doucet devant la Cour d’appel. Voilà un exemple frappant d’une influence directe sur le contenu des droits linguistiques.
Forum des maires de la péninsule acadienne c. Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments)
Dans l’affaire Forum des maires 19, un scénario semblable se déroule. Il s’agit de vérifier si le déménagement de postes de l’Agence canadienne d’inspection des aliments de la péninsule vers le sud-est va constituer une violation des parties IV et VII de laLoi sur les langues officielles du Canada 20. La Cour fédérale accepte de reconnaitre une violation de la Partie IV, à l’instar du Commissaire aux langues officielles du Canada. Elle reconnaît aussi une violation de la partie VII en ce que l’Agence n’aurait pas consulté la communauté avant de prendre sa décision. Par ailleurs, la Cour d’appel fédérale, en obiter, statue que la partie VII ne créait que des engagements politiques et qu’on ne pouvait par conséquent conclure à une violation juridique. La Cour d’appel fédérale confirme cette analyse, malgré les arguments présentés par Me Doucet. Un appel est présenté à la Cour suprême du Canada, qui accepte de l’entendre, mais dans l’intervalle la loi est modifiée et clarifie explicitement ce point, d’où le désistement de l’appel devenu théorique. Cette fois, si la démarche judiciaire n’a pas conduit au résultat espéré, elle a quand même, avec d’autres facteurs, provoqué une modification législative allant dans le sens d’un accroissement des droits linguistiques justiciables. On sait que Michel Doucet s’est ensuite impliqué dans la contestation de la fermeture de l’ancien Programme de contestation judiciaire du Canada en 2006 et que n’eut été du règlement hors-cour ayant conduit à la création du Programme d’appui aux droits linguistiques (qui a maintenant été remplacé par un nouveau Programme de contestation judiciaire), nous aurions un jugement qui aurait analysé les conséquences de la modification de la partie VII en 2005. Le professeur Doucet a publié un excellent article sur cette affaire 21.
Charlebois c. Saint John
L’affaire Charlebois c. Saint John 22 représente une autre cause linguistique où l’interprétation des lois joue un rôle fondamental. Une municipalité du Nouveau-Brunswick doit- elle utiliser la langue du justiciable dans une affaire civile, comme elle doit le faire au quasi-pénal ? Ou peut-elle, comme le justiciable, choisir sa langue de procédure ? Malgré les efforts de Me Doucet et d’autres, la majorité de la Cour refuse d’appliquer la règle d’interprétation invoquant les valeurs de la Charte pour donner un sens à la nouvelle Loi sur les langues officielles de la province. Selon la majorité, la loi est claire et quand elle a voulu imposer des obligations aux municipalités elle l’a dit clairement. Son silence est donc aussi éloquent. Même si cela semble contredire la position antérieure de la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick selon laquelle une municipalité est une institution du gouvernement provincial qui devrait avoir les mêmes obligations, la Cour suprême du Canada prend soin de dire que sa tâche consiste uniquement à interpréter la loi et que la constitutionnalité de celle-ci n’est pas en cause. En tant qu’intervenant, Me Doucet ne peut pas changer les termes du débat. La constitutionnalité de cet aspect de la loi demeure une question ouverte, tandis que la règle d’interprétation de Charlebois c. Saint John et l’interaction entre les lois linguistiques et les droits linguistiques de la Charte devient plus confuse que lors de l’arrêt Beaulac.
Société des Acadiens et Acadiennes du Nouveau-Brunswick Inc. c. Canada
Ce qu’il est convenu d’appeler l’affaire Paulin 23 soulève aussi une question fondamentale, cette fois au niveau de la répartition des pouvoirs fédéraux-provinciaux en matière linguistique et des conséquences de la disparité entre les régimes linguistiques de chaque juridiction quand une institution fédérale exerce des responsabilités provinciales.
Mme Paulin se fait arrêter par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) dans une région du Nouveau-Brunswick qui n’est pas à demande importante selon la Loi sur les langues officielles fédérale et son règlement d’application. Le Commissariat aux langues officielles du Canada refuse d’enquêter, à bon droit : il n’a pas compétence. Par contre, la GRC peut-elle alors se soustraire aux exigences du régime linguistique du Nouveau-Brunswick, qui ne connait aucune limite territoriale sur la langue des services ? La Cour suprême du Canada clarifie plusieurs questions fondamentales : une institution fédérale ne perd pas son statut quand elle agit pour une province et demeure donc en tout temps liée par la Loi sur les langues officielles, ce qui protège donc les droits linguistiques des gens dans le reste du pays face à la GRC. Par contre, une institution liée par contrat à une province doit aussi respecter les lois provinciales quand celles-ci vont plus loin, comme c’est le cas ici. Le paragraphe 20(2) de la Charte et la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick s’appliquent donc à la GRC. L’arrêt Paulin a peut-être contribué au nouvel article 31 de la Loi sur les langues officielles qui clarifie les obligations linguistiques des corps policiers œuvrant dans la province 24.
Caron c. Alberta
La dernière cause linguistique que je veux évoquer est l’arrêtCaron25. Dans cette affaire, Me Doucet représente avec d’autres l’intervenante Association Canadienne Française de l’Alberta (ACFA). Sa tâche est plus particulièrement de proposer les règles d’interprétation qui doivent servir à établir le sens de certaines expressions. L’affaire Caron est complexe et implique plusieurs documents dont des adresses du Sénat et de la Chambre des communes, un décret du gouverneur en conseil annexant la Terre de Rupert au Canada, une proclamation royale garantissant aux Métis le respect de tous leurs droits. La province prétextait la version en anglais de ces documents, plus favorable à ses thèses, et Me Doucet, bien entendu, arguait la théorie de l’égale valeur de chaque version, ce qui permettait d’utiliser la version en français plus favorable à la position de M. Caron. Malgré ses efforts et ceux de toutes les parties concernées, la Cour suprême du Canada rejeta ces arguments. La majorité va même jusqu’à dire que sa conclusion autour de l’inexistence d’une obligation d’adopter ses lois dans les deux langues ne changerait pas, quelle que soit la version en français ou en anglais que l’on retiendrait. Au moins, Me Doucet peut se consoler en se disant que son argument n’a pas été rejeté par la majorité : il a simplement été ignoré !
La prochaine série de décisions porte sur des dossiers scolaires.
Solski (Tuteur de) c. Québec (Procureur général)
Michel Doucet est aussi intervenu sur les dossiers scolaires. L’arrêt Solski26 est une affaire visant la définition des ayants-droit au Québec. Me Doucet représente deux intervenantes, la Commission Nationale des Parents Francophones et la Fédération Nationale des Conseils Scolaires Francophones, et l’intervention vise à rendre la Cour sensible à l’effet que pourrait avoir son interprétation sur les admissions dans les écoles de langue française hors-Québec. Mission accomplie. Le critère retenu par la Cour, celui d’un engagement authentique à cheminer dans la langue de la minorité, garde la porte ouverte aux politiques d’admission pratiquées hors-Québec dans un but de réparation (on sait que dansCommission scolaire francophone du Yukon 27 en 2015, la Cour a spécifié que ces politiques doivent résulter d’une délégation expresse de la province). On trouve aussi la trace de ses arguments dans les facteurs que les autorités doivent considérer quand elles évaluent cet engagement.
Chubbs v. Newfoundland and Labrador
L’affaire Chubbs 28 marque encore ici une avancée originale dans la mise en œuvre des droits linguistiques. L’affaire implique quelques enfants d’un village de la côte du Labrador, qui fréquentent l’école québécoise à quelques kilomètres en vertu d’une entente entre les deux provinces. La Cour avalise l’entente, impose à Terre-Neuve le coût de l’instruction de ces élèves, Terre-Neuve doit reconnaître le diplôme, et la Cour mentionne que le Conseil scolaire francophone de Terre-Neuve-et-Labrador doit veiller à ce que certains cours aient une composante terre-neuvienne (histoire, géographie, français, etc.).
Il me reste enfin à aborder en conclusion les dossiers procéduraux.
Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l'Éducation) 29 .
Cette décision est l’une des plus importantes dans la carrière de plaideur de Michel Doucet. L’enjeu est véritablement procédural, mais véritablement fondamental aussi : le juge LeBlanc a-t-il outrepassé sa fonction judiciaire quand, au procès, il a rendu une ordonnance obligeant le gouvernement à rendre compte périodiquement de l’exécution de ses autres ordonnances ? La majorité de la Cour suprême du Canada accepte la conclusion selon laquelle cette réparation est convenable et juste au sens du paragraphe 24(1) de la Charte canadienne. La Cour souligne aussi, ce qui a servi ensuite dans d’autres affaires, la nécessité pour les gouvernements d’agir avec célérité pour mettre en œuvre les droits linguistiques. Non seulement doivent-ils agir, mais ils doivent le faire en temps utile. Malheureusement, ce précédent important n’a pas été revendiqué souvent par la suite. En 2006, la juge Moreau a refusé d’émettre une ordonnance de suivi dans l’affaireFédération franco-ténoise c. Procureur général du Canada 30 même si cela lui avait été demandé. Le juge Ouellette l’a fait en 2011 dans l’affaire Commission scolaire francophone du Yukon No. 23 c. Procureure générale du Territoire du Yukon 31 , mais le jugement a été renversé pour cause de crainte raisonnable de partialité. En 2011, une juge de la cour fédérale accorde une telle ordonnance aux Thibodeau pour une violation systémique de la Loi sur les langues officielles par Air Canada, mais la Cour d’appel puis la Cour suprême l’annulent au motif qu’elle n’est pas assez précise32. Bref, Doucet-Boudreau demeure un cas d’espèce et il faut souhaiter que les tribunaux deviendront moins frileux pour accorder ce type de recours.
LeBlanc c. Nouveau-Brunswick
L’affaire LeBlanc 33 concerne une demande d’injonction pour bloquer une élection scolaire qui doit avoir lieu dans 5 jours. La demande est rejetée notamment parce que les inconvénients pour les élections surpassent les avantages aux demandeurs.
Caraquet (Ville) c. Nouveau-Brunswick (Ministre de la Santé et du mieux-être)
L’affaire Caraquet vise une tentative de bloquer le transfert de certains services médicaux de l’hôpital de Caraquet vers d’autres établissements ; la Cour du Banc de la Reine rejette l’action au motif que les demandeurs n’ont pas d’abord porté plainte auprès du Commissariat aux langues officielles. La Cour d’appel renverse cette conclusion : une plainte au Commissariat n’est pas un prérequis au recours judiciaire au Nouveau-Brunswick34. C’était la position de Me Doucet et c’est important pour assurer l’accès à la justice.
Sonier c. Ambulance Nouveau-Brunswick Inc.
Dans l’affaire Sonier 35, la défenderesse et le gouvernement admettaient une violation de la Loi sur les langues officielles dans le cas des demandeurs ; mais les parties voulaient soumettre un exposé de cause pour savoir si la Loi avait préséance sur les conventions collectives. La Cour rejette leur demande, notamment parce que le syndicat n’était pas partie aux procédures et qu’il manquait de fondement factuel. Pourtant, la question était purement juridique et méritait une réponse judiciaire 36.
Raîche c. Canada (Procureur général)
Il me reste à évoquer l’affaire dont Michel, lors de cette entrevue à format libre, s’est dit le plus fier de toute sa carrière de plaideur : l’affaire Raîche c. Canada (Procureur général) 37, où la Cour fédérale a admis que le critère de « communauté des intérêts » qui doit être appliqué lors des révisions de carte électorale peut comprendre des enjeux linguistiques et culturels. Non seulement la cause a-t-elle conduit à réintégrer certains villages acadiens dans une circonscription fédérale majoritairement francophone, mais ce précédent vient d’être invoqué avec succès dans le jugement récent en Nouvelle-Écosse, même si techniquement la ratio repose sur les pouvoirs réels de la Commission de révision qui avait, elle, appliqué ce critère pour garder les circonscriptions acadiennes protégées38. La représentation des minorités aux instances parlementaires n’est pas un droit linguistique comme tel, mais c’est un droit des minorités qui contribue à la sauvegarde des droits linguistiques.
CONCLUSION
Que retenir de ces interventions diverses ? D’abord, on peut constater que Me Doucet ne travaille jamais seul, il est toujours accompagné de plaideurs et plaideuses qui peuvent l’aider dans son travail. De plus, il fait constamment preuve d’un grand professionnalisme, reste courtois mais ferme avec ses adversaires et connait l’importance des procédures et des règles pour une bonne administration de la justice.
Ensuite, les dossiers qu’il a menés présentaient un degré souvent élevé de difficultés. Il a établi des précédents importants (je citerais les trois principaux comme étant l’arrêt Charlebois c. Moncton, l’arrêt Doucet-Boudreau et l’affaire Raîche). Il a beaucoup insisté sur les règles d’interprétation judiciaire des droits linguistiques, leur lien avec la culture et l’égalité réelle. Cet aspect de sa carrière me semble révéler une grande confiance envers le pouvoir judiciaire et une certaine déception à l’égard des mécanismes politiques. Il sent peut-être qu’une minorité, dans notre système gouvernemental, doit compenser sa faiblesse politique par une force juridique afin de rétablir l’équilibre. Ses interventions débordent largement le cadre des droits linguistiques proprement dits et leur donnent une dimension sociale et politique importantes. S’il a perdu certaines batailles, à long terme il aura gagné la guerre, et nous tous par le fait même.
* Professeur titulaire à la Faculté de droit, Université d’Ottawa.
[1] Entrevue à l’émission Format libre, en ligne : Radio Canada Acadie <http://ici.radio-canada.ca/emissions/format_libre/2015-2016/archives.asp?date=2016-07-19> [accès le 3 mai 2018].
[2] Roger Bilodeau, Michel Doucet et l’auteur étions tous professeurs à l’École de droit de l’Université de Moncton à cette époque.
[3] Bilodeau c Manitoba (Procureur général) , [1986] 1 RCS 449, 27 DLR (4e) 39.
[4] Macdonald c Montréal (ville) , [1986] 1 RCS 460, 27 DLR (4e) 321.
[5] Michel Doucet, « La Cour suprême et les droits linguistiques du justiciable : une démarche régressive » (1986) Égalité, revue acadienne d’analyse politique 124.
[6] Article 16.1 de la Charte canadienne des droits et libertés.
[7] [1988] 1 RCS 234, 48 DLR (4e) 1.
[8] [1987] 1 RCS 1148, 40 DLR (4e) 18.
[9] [1990] 1 RCS 342, 68 DLR (4e) 69.
[10] [1998] 2 RCS 217, 161 DLR (4e) 385.
[11] [1999] 1 RCS 768, 173 DLR (4e) 193.
[12] 2000 CSC 1, [2000] 1 RCS 3.
[13] « Une nouvelle trilogie » (2000) 49 UNBLJ 3; « Une nouvelle règle d’interprétation » (2000) 16:3 Bulletin des avocats de l’Association du Barreau canadien division du Nouveau-Brunswick 1; « Beaulac c. La reine : Une révision de la règle d’interprétation dans Société des Acadiens » (2000) Revue du Barreau Canadien 4.
[14] 2001 NBCA 117, 242 R.N.-B. (2e) 259.
[15] Blaikie c Procureur général du Québec (no 1) , [1979] 2 RCS 1016; Procureur général du Québec c Blaikie (no 2), [1981] 1 RCS 312.
[16] Forest c Procureur général du Manitoba , [1979] 2 RCS 1032.
[17] Michel Bastarache et Bernard Poirier, Vers l’égalité des langues officielles au Nouveau-Brunswick , Fredericton, Imprimeur de la Reine, 1982.
[18] Loi sur les langues officielles , LN-B 2002, c O-0.5.
[19] 2003 CF 1048, [2004] 1 RCF 136 (Cour fédérale), 2004 CAF 263, [2004] 4 RCF 276 (demande d’appel à la Cour suprême du Canada retirée : 2005 CSC 85, [2005] 3 RCS 906).
[20] LRC 1985, c 31 (4e suppl.).
[21] « La décision judiciaire qui ne sera jamais rendue : L’abolition du Programme de contestation judiciaire du Canada et la Partie VII de la Loi sur les langues officielles du Canada » (2008) 10 RCLF 27.
[22] 2005 CSC 74, [2005] 3 RCS 563.
[23] Société des Acadiens et Acadiennes du Nouveau-Brunswick Inc. c Canada , 2008 CSC 15, [2008] 1 RCS 383.
[24] PL 72, Loi relative aux langues officielles, 3e sess, 57e lég, Nouveau-Brunswick, 2013, art 1(6).
[25] 2015 CSC 56, [2015] 3 RCS 511.
[26] 2005 CSC 14, [2005] 1 RCS 201.
[27] Commission scolaire francophone du Yukon c Procureure générale du Yukon , 2015 CSC 25, [2015] 2 RCS 282.
[28] Chubbs c Terre-Neuve-et-Labrador 2004 NLSCTD 89, 237 Nfld & PEIR 146.
[29] 2003 CSC 62, [2003] 3 RCS 3.
[30] 2006 NWTSC 20, [2006] NWTJ no 32 (QL).
[31] 2011 YKSC 57, [2011] YJ no 132 (QL).
[32] Thibodeau c Air Canada , 2011 CF 876, [2013] 2 RCF 83 (Cour fédérale); 2012 CAF 246, [2013] 2 RCF 155 (Cour d’appel fédérale); 2014 CSC 67, [2014] 3 RCS 40 (Cour suprême du Canada).
[33] 238 RNB (2e) 61, [2001] AN-B no 184 (QL).
[34] Caraquet (Ville) c Nouveau-Brunswick (Ministre de la Santé et du mieux-être) , 2005 NBCA 34, 282 RNB (2e) 112 infirmant 2005 NBBR 3, 280 RNB (2e) 146.
[35] Sonier c Ambulance Nouveau-Brunswick Inc. , 2016 NBBR 218, [2016] AN-B no 277 (QL).
[36] Les parties ont obtenu de la Cour une ordonnance par consentement : Ordonnance par consentement, no M/C/0153/14, rendu le 20 novembre 2017.
[37] 2004 CF 679, [2005] 1 RCF 93.
[38] Reference re House of Assembly Act , 2017 NSCA 10, 411 DLR (4th) 271.