La publication des jugements relatifs aux instances judiciaires qui se déroulent dans les deux langues officielles au N.-B.
Au Nouveau-Brunswick, « chacun a le droit d’employer la langue officielle de son choix dans toutes les affaires dont sont saisis les tribunaux, y compris toute procédure, pour les plaidoiries et dans les actes de procédure qui en découlent »1. De plus, le tribunal doit « […] comprendre, sans l’aide d’un interprète ou de toute technique de traduction simultanée ou d’interprétation consécutive, les deux langues officielles lorsque les parties ont opté pour que l’affaire soit entendue dans les deux langues officielles »2.
Cela dit, lorsqu’une instance judiciaire se déroule dans les deux langues officielles, des services d’interprétation peuvent être employés pour traduire les témoignages de la partie A dans la langue officielle de la partie B et vice-versa3.
Cela dit, lorsqu’une instance judiciaire se déroule dans les deux langues officielles, des services d’interprétation peuvent être employés pour traduire les témoignages de la partie A dans la langue officielle de la partie B et vice-versa3.
Lorsque l’audience se déroule, en tout ou en partie, dans les deux langues officielles « les décisions ou ordonnances définitives des tribunaux, exposés des motifs et sommaires compris » sont publiés dans ces deux langues4. À cette règle générale, le législateur a cependant apporté un bémol : « lorsque la publication d’une version bilingue entraînerait un retard qui serait préjudiciable à l’intérêt public ou qui causerait une injustice ou un inconvénient grave à une des parties au litige, la décision, exposé des motifs compris, est publiée d’abord dans l’une des langues officielles, puis dans les meilleurs délais, dans l’autre langue officielle »5. Il convient de noter finalement que les décisions de la Cour d’appel sont « réputées satisfaire aux critères de l’article 24 », c’est-à-dire qu’elles doivent toujours être publiées dans les deux langues officielles parce qu’elles présentent de facto « de l’intérêt ou de l’importance pour le public »6.
C’est dans cet esprit que la Cour d’appel a précisé sa démarche dans Caraquet (Ville) c. Nouveau-Brunswick (ministre de la Santé et du mieux-être) lorsqu’elle a prononcé sa décision à l’orale :
Aux termes de l’art. 25 de la Loi sur les langues officielles, L.N.-B. 2002, ch. O-0.5, les décisions définitives de la Cour d’appel doivent être publiées dans les deux langues officielles. Il y a publication au sens de cette disposition lorsque la décision est déposée au bureau du registraire de la Cour. L’article 25 n’a toutefois pas pour effet d’interdire le prononcé, dans une seule langue officielle, d’une décision ou de l’exposé des motifs. Nous prononçons dès aujourd’hui une décision circonstanciée dans cette affaire afin d’encourager l’emploi de moyens susceptibles de mener de façon expéditive à une solution du litige sur le fond. La décision et l’exposé des motifs que nous communiquons, séance tenante, seront publiés dès que leur traduction dans la langue anglaise sera disponible7.
En procédant de la sorte, la Cour d’appel précisait que ce qui est exigé par la Loi sur les langues officielles (LLO) est la publication des décisions « ou ordonnances définitives des tribunaux, exposés des motifs et sommaires compris » dans les deux langues officielles. Elle pouvait donc rendre une décision orale, séance tenante, dans une seule langue, mais qu’il y aurait publication de cet exposé des motifs lorsque la traduction dans l’autre langue serait terminée.
Il y a cependant lieu de s’attarder plus longuement à ce passage. La Cour d’appel n’aurait eu besoin que de s’appuyer sur l’article 26 de la LLO pour justifier le fait qu’elle rendait une décision à l’orale. L’article 26 prévoit effectivement que :
Les articles 24 et 25 n’ont pas pour effet d’interdire le prononcé, dans une seule langue officielle, d’une décision ou de l’exposé des motifs auquel cas la décision n’est pas invalide pour autant. | Sections 24 and 25 shall not be construed so as to prevent the pronouncement of a judgment, including the reasons in support of the judgment, in either official language and in such a case, the judgment is not invalid by reason only that it was pronounced in one official language. |
Au lieu de s’appuyer sur cet article, la Cour d’appel a préféré s’appuyer sur l’article 25, lequel prévoit que « Les décisions de la Cour d’appel sont réputées satisfaire aux critères de l’article 24 » et ensuite préciser qu’il n’y aura publication au sens de l’article 24 « dès que [la] traduction dans la langue anglaise sera disponible », confirmant par le fait même que les jugements doivent être publiés simultanément dans les deux langues officielles.
À l’instar de cet extrait et tel que mentionné ci-dessus, lorsqu’une instance judiciaire s’est déroulée dans les deux langues officielles, la LLO prévoit effectivement la possibilité que la décision soit d’abord publiée dans une langue, puis, « dans les meilleurs délais »8 dans l’autre langue officielle. Cela dit, le critère pour que la Cour puisse se prévaloir de cette exception est le suivant : « lorsque la publication d’une version bilingue entraînerait un retard qui serait préjudiciable à l’intérêt public ou qui causerait une injustice ou un inconvénient grave à une des parties au litige »9. Un critère qui semble avoir échappé à la juge d’Entremont de la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick lorsqu’elle a voulu préciser la nature du retard au sujet de la publication dans l’autre langue officielle de la décision :
La présente décision découle d’une audience qui s’est déroulée dans les deux langues officielles, avec l’aide d’un interprète. Le paragraphe 24(1) de la Loi sur les langues officielles, L.N.-B. 2002, ch. O-0.5, exige donc la publication de la décision dans les deux langues officielles. Étant donné que le dépôt de la présente motion remontait au 12 août 2013, la préparation de la décision dans l’autre langue officielle devait causer un retard. La motion a été entendue les 3 et 4 juillet 2014 et les 13, 14 et 15 mai 2015. En conséquence, la décision a d’abord été publiée en anglais; sa version française, produite dans les meilleurs délais, est maintenant publiée [nous soulignons]10.
Étant donné que l’audience s’est déroulée dans les deux langues officielles, la décision devait également, tel que le prévoit la LLO, être publiée dans les deux langues officielles11. Cette publication doit forcément se faire de façon simultanée, sinon le législateur n’aurait pas prévu la possibilité que la décision soit publiée d’abord dans une langue officielle « lorsque la publication d’une version bilingue entraînerait un retard qui serait préjudiciable à l’intérêt public ou qui causerait une injustice ou un inconvénient grave à une des parties au litige » et, ensuite et dans les meilleurs délais, dans l’autre langue officielle. Par conséquent, pour se prévaloir de cette exception, la décision de publier le jugement en différé doit être justifiée en s’appuyant sur ce critère.
Il va sans dire que la publication dans les deux langues officielles va toujours causer un retard. La traduction prend forcément un certain temps. Il serait donc absurde d’adopter une disposition dans la LLO qui prévoit que lorsque la publication bilingue entraîne un retard, on peut publier d’abord dans une langue officielle et ensuite publier le jugement dans l’autre langue officielle. Voilà pourquoi le législateur a précisé que le retard devait être préjudiciable à l’intérêt public ou causer une injustice ou un inconvénient grave à une des parties au litige.
Le travail des juristes au Nouveau-Brunswick ne peut toutefois se limiter qu'à la lecture d’une seule version de la loi. Les deux lois ayant force égale12, il faut toujours lire les deux versions de la loi. La version anglaise du paragraphe 24(2) se lit comme suit :
Where a final decision, order or judgment is required to be published under subsection (1), but it is determined that to do so would result in a delay or injustice or hardship to a party to the proceedings, the decision, order or judgment, including any reasons given, shall be published in the first instance in one official language and, thereafter, at the earliest possible time, in the other official language [nous soulignons].
À la lecture de cette disposition, on comprend, du coup, pourquoi la juge d’Entremont a écrit que « la préparation de la décision dans l’autre langue officielle devait causer un retard » [nous soulignons] et donc justifiait, sans explication supplémentaire, que le jugement soit d’abord publié dans une langue officielle et ensuite dans l’autre. On peut présumer sans crainte de se tromper qu’elle n’a effectivement lu que la version anglaise de la LLO.
La version anglaise prévoit que l’on peut publier un jugement en différé dans les deux langues officielles lorsque la publication bilingue entraînerait un retard ou une injustice ou un inconvénient grave à l’une des parties au litige (« a delay or injustice or hardship to a party to the proceedings »). Tel que mentionné ci-dessus, il va sans dire que la publication bilingue va toujours occasionner un certain retard dans la publication du jugement, contrairement à la publication dans une seule langue. Il serait insensé de prévoir que l’on peut publier d’abord dans une langue et ensuite dans l’autre langue lorsque cela occasionnerait un retard. Aussi bien prévoir dans la LLO que lorsqu’un jugement doit être publié dans les deux langues officielles, il est d’abord publié dans une langue et dans les meilleurs délais, dans l’autre langue officielle.
Il y a un autre élément de la disposition de la version française qui ajoute du poids à cette conclusion : elle prévoit que le retard est préjudiciable à l’intérêt public. La notion d’intérêt public est complètement absente de la version anglaise de la disposition. Or, la publication en différée n’est possible que si le retard cause un préjudice à l’intérêt public ou si le retard cause une injustice ou un inconvénient grave à l’une des parties au litige. La notion d’intérêt public se justifie par la nature de l’acte : la publication d’un jugement, c’est-à-dire le fait de rendre public le résultat d’un litige qui vient d’être tranché par la Cour. Ce résultat étant, dans bien des cas, attendu par le public qui peut avoir un intérêt dans l’issue du conflit.
Le critère voulant que le retard soit préjudiciable à l’intérêt public est important puisqu’il permet une exception à la règle générale de la publication simultanée dans les deux langues officielles lorsque le jugement répond aux critères énoncés au paragraphe 24(1) de la LLO, c’est-à-dire lorsque le jugement présente de l’intérêt ou de l’importance pour le public ou lorsque les procédures se sont déroulées, en tout ou en partie, dans les deux langues officielles ou lorsqu'il s'agit d'un jugement de la Cour d'appel. Ce critère devait d’ailleurs être présent à l’esprit des juges de la Cour d’appel lorsqu’ils ont ajouté le paragraphe suivant à la toute fin d’au moins trois jugements :
Depuis que l’appel a été entendu, l’un des membres de la formation de la Cour a été nommé à la Cour fédérale, élevé aux fonctions de juge en chef de la Cour d’appel de la cour martiale du Canada. Ainsi qu’il est prévu au par. 8(6.1) de la Loi sur l’organisation judiciaire, L.R.N.-B. 1973, ch. J-2, il peut continuer à exercer les pouvoirs d’un juge de notre Cour pendant six mois à compter de la date de sa nomination. Afin que ce délai puisse être respecté, je suis d’avis d’ordonner, en vertu du par. 24(2) de la Loi sur les langues officielles, L.N.-B. 2002, ch. O-0.5, que la version anglaise des présents motifs soit publiée et que la version française suive.13
On se souviendra que le paragraphe 24(2) de la LLO permet de publier d’abord dans une langue officielle et ensuite, dans les meilleurs délais, dans l’autre langue officielle « lorsque la publication d’une version bilingue entraînerait un retard qui serait préjudiciable à l’intérêt public ou qui causerait une injustice ou un inconvénient grave à une des parties au litige ». Il va sans dire que la promotion du juge à la Cour martiale n’affecte aucunement les parties. Le seul critère présent dans le paragraphe 24(2) de la LLO qui puisse justifier cette démarche de la Cour d’appel est le préjudice à l’intérêt public, qui pourrait être causé par l’expiration du délai de 6 mois durant lequel le juge peut continuer à exercer ses pouvoirs au sein de la Cour d’appel. Autrement dit, un appel entendu par ce juge le jour avant son départ pourrait avoir comme conséquence que le jugement ne soit rédigé que quelques mois plus tard et que les délais dus à la traduction fasse en sorte que la publication du jugement dépasse ce délai de 6 mois. Par conséquent, la promotion du juge à la Cour martiale et le bon fonctionnement de la Cour d’appel du N.?B. justifient la publication d’abord dans une langue officielle et dans les meilleurs délais dans l’autre langue officielle.
Un jugement publié récemment permet également de voir les nuances et les ambigüités qu’il peut y avoir avec la publication des jugements bilingues. Le jugement de la Cour d'appel intitulé Sa Majesté la Reine du chef du Nouveau-Brunswick, représentée par le ministre de l’Éducation c. Kennedy et autres14 , rendu à l’oral, d’une longueur de trois paragraphes, a été publié en anglais et en français, avec la mention : « motifs plus détaillés à suivre ». Les motifs détaillés ont effectivement suivis, lesquels font 108 paragraphes, mais ont été publiés d'abord en anglais et dans les meilleurs délais en français, mais sans justifier la procédure de publication en différée. Cette façon de faire nous paraît non seulement contraire à la LLO, mais également contraire à la position adoptée par la Cour d’appel dans Caraquet, comme nous l’avons vu ci-dessus, lorsqu’elle a distingué le prononcé de sa décision à l’orale de la publication simultanée du jugement dans les deux langues officielles. Cette publication du jugement en anglais d'abord et ensuite en français sans aucune justification constitue un écart de parcours pour le moins étonnant de la part de la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick.
Les ambiguïtés ne s’arrêtent cependant pas là. La version française du paragraphe 24(2) de la LLO contient également une ambigüité que la version anglaise ne contient pas. Le paragraphe 24(2) prévoit effectivement que :
Dans les cas visés par le paragraphe (1) ou lorsque la publication d’une version bilingue entraînerait un retard qui serait préjudiciable à l’intérêt public ou qui causerait une injustice ou un inconvénient grave à une des parties au litige, la décision, exposé des motifs compris, est publiée d’abord dans l’une des langues officielles, puis dans les meilleurs délais, dans l’autre langue officielle [nous soulignons].
Le libellé de ce paragraphe nous donne l’impression qu’il y a effectivement deux scénarios possibles : 1) dans les cas visés au paragraphe 1, et 2) lorsque la publication bilingue entraînerait un retard préjudiciable à l’intérêt public… et on connaît la suite.
Le paragraphe (1) dont il est question prévoit que :
Les décisions ou ordonnances définitives des tribunaux, exposés des motifs et sommaires compris, sont publiés dans les deux langues officielles a) si le point de droit en litige présente de l’intérêt ou de l’importance pour le public; ou b) lorsque les procédures se sont déroulées, en tout ou en partie, dans les deux langues officielles.
À la lecture du paragraphe 24(2), on pourrait donc en déduire que la publication, d’abord dans une langue et ensuite dans l’autre langue, est possible si le point de droit en litige présente de l’intérêt ou de l’importance pour le public ou si les procédures se sont déroulées, en tout ou en partie, dans les deux langues officielles ou, encore, si la publication causerait un retard préjudiciable à l’intérêt public, etc. Une interprétation qui serait conforme au résultat obtenu lorsqu’on ne lit que la version anglaise. Cela dit, l’équivalent de « Dans les cas visés par le paragraphe (1) ou » est tellement claire dans la version anglaise : « Where a final decision, order or judgment is required to be published under subsection (1) […] ». Autrement dit, lorsque « le point de droit en litige présente de l’intérêt ou de l’importance pour le public » ou « lorsque les procédures se sont déroulées, en tout ou en partie, dans les deux langues officielles », les « décisions ou ordonnances définitives des tribunaux, exposés des motifs et sommaires compris, sont publiés dans les deux langues officielles » (paragraphe 24(1)) à moins que cette publication dans les deux langues officielles « entraînerait un retard qui serait préjudiciable à l’intérêt public ou qui causerait une injustice ou un inconvénient grave à une des parties au litige » (paragraphe 24(2)). Voilà une interprétation dépourvue de toute ambigüité.
Par conséquent, la juge d’Entremont devait non seulement lire les deux versions de la LLO, ce que l’on peut présumer qu’elle n’a pas fait pour les raisons mentionnées ci-dessus, mais elle devait en plus justifier que le retard causé par la traduction de la décision dans les deux langues officielles entraînerait un retard qui serait préjudiciable à l’intérêt public ou qui causerait une injustice ou un inconvénient grave à une des parties au litige. Puisque cette affaire portait sur la garde exclusive d’un enfant, elle n’aurait sans doute eu aucun problème à justifier que le retard aurait causé une injustice ou un inconvénient grave à une des parties au litige.
La juge aurait également dû, après avoir lu les deux versions de la LLO – et donc pris connaissance des divergences flagrantes –, interpréter l’article 24 afin de connaître l’intention du législateur. Une interprétation à laquelle une cour devra un jour se livrer en raison des divergences frappantes qui existent entre ces deux versions de l’article 24 de la LLO.
Cet exemple met à l’avant-scène les ambigüités qu’il peut y avoir dans les versions bilingues des lois, mais aussi l’importance de lire les deux versions des lois bilingues. À défaut de quoi, il peut en résulter des effets sur le droit substantif, comme dans ce cas-ci : la bévue commise en omettant de lire les deux versions de la LLO ouvre effectivement la porte à la publication en différée dans tous les cas puisque la publication bilingue des jugements prend toujours plus de temps et donc cause forcément un retard. Et comme c’est souvent le cas pour la minorité linguistique, dans l’affaire M.J.A. c. J.J.G., la décision a d’abord été publiée en anglais et ensuite en français.
1 Loi sur les langues officielles, LN-B 2002, c O-0.5, art 17 [LLO].
2 Ibid, art 19(2).
3 Ibid, art 21.
4 Ibid, art. 24(1)b).
5 Ibid, art 24(2).
6 Ibid, art 25.
7 2005 NBCA 34, 282 RNB (2e) 112 au para 1.
8 LLO, supra note 1, art 24(2).
9 Ibid .
10 M.J.A. c J.J.G., 2015 NBBR 129, [2015] AN-B no 192 (QL) au para 1.
11 LLO, supra note 1, art 24(1).
12 Ibid, art 10.
13 R c Atkinson, 2015 NBCA 48, 439 RNB (2e) 92 au para 47; Nouveau-Brunswick c Brad Gould Trucking & Excavating Ltd., 2015 NBCA 47, [2015] AN-B no 182 (QL); R c Tingley, 2015 NBCA 51, [2015] AN-B no 274 (QL).
14 2015 NBCA 58, [2015] NBJ No 251 (QL).