Le respect des droits linguistiques à l’épreuve du « bon sens », le cas d’Ambulance Nouveau-Brunswick
—
Eric Forgues
19 janvier 2019
Télécharger le fichier
L’enjeu linguistique entourant la gestion d’Ambulance Nouveau-Brunswick (ANB) est un observatoire de choix pour saisir la forme actuelle des rapports entre la majorité anglophone et la minorité francophone dans la province du Nouveau-Brunswick. Le cas d’ANB montre également l’influence de la sphère politique, voire de la société sur la sphère du droit. Le respect des droits linguistiques et la mise en œuvre de la Loi sur les langues officielles (LLO) sont étroitement dépendants de l’engagement et du leadership des élus.
Autour de cet enjeu, deux visions s’opposent en ce qui concerne la mise en œuvre des droits linguistiques dans la province. Celle qui fait la promotion du « bon sens », qui demande une certaine flexibilité dans l’application des droits linguistiques, et l’autre, qui exige le respect de la LLO. Après plusieurs plaintes, plusieurs rapports du commissaire aux langues officielles et des jugements des tribunaux, le gouvernement minoritaire au pouvoir affirme que la prestation de services de qualité égale dans les deux langues officielles est un idéal inaccessible et que le « bon sens » nous commande de réduire nos exigences.
Sans entrer dans tous les détails de ce « dossier » linguistique, qui comporte sa part de complexité, rappelons néanmoins quelques faits.
La création d’ANB résulte de la fusion en 2007 par le gouvernement libéral de près d’une quarantaine de fournisseurs de services ambulanciers dans la province. La fusion devait permettre d’uniformiser la qualité des services, de mettre à niveau les compétences du personnels et les technologies utilisées, de normaliser les conditions de travail et de réduire le temps de réponse des ambulanciers dans la province1. Comme le mentionnait le ministre de la Santé en 2007, Mike Murphy : « Overall, across the province, we’re going to have quicker response times by ambulances »2. À suivre l’actualité récente sur le sujet, ces objectifs n’ont pas été atteints, plus de dix ans plus tard.
Depuis 2002, la LLO au Nouveau-Brunswick exige que les services gouvernementaux offerts par des tiers (comme ANB) le soient dans la langue officielle choisie par les citoyens3. En 2014, la commissaire aux langues officielles (CLO), après avoir reçu une plainte, publie un rapport d’enquête dans lequel elle émet un constat sévère à l’égard d’ANB : « Malgré les bonnes intentions de l’institution, nos récentes recommandations, les rencontres avec le président-directeur général et d’autres cadres supérieurs d’ANB et les 7 ans d’existence de l’institution, ANB n’arrive toujours pas à respecter ses obligations linguistiques »4. À la suite du rapport d’enquête, ANB adopte un plan stratégique afin de satisfaire aux exigences de la LLO et de répondre aux recommandations de la commissaire. Suivant l’adoption du plan stratégique linguistique à ANB, la réaction du syndicat ne tarde pas : « NB’s new plan to improve the availability of bilingual services across the province is unfair and fails to give some paramedics enough time to complete new language training »5.
En novembre 2017, une ordonnance par consentement signée par la Cour du Banc de la Reine contraint ANB à offrir un service de qualité égale dans les deux langues officielles, de prendre des mesures à cette fin et de rendre compte des progrès annuellement au CLO du Nouveau-Brunswick6. Au printemps 2018, une sentence arbitrale rendue par un arbitre en relation de travail, John P. McEvoy, va à l’encontre de cette ordonnance en jugeant notamment qu’ANB n’a pas à offrir « immédiatement » un service de qualité égale dans les deux langues officielles partout dans la province.
Voyant que cela allait à l’encontre de l’ordonnance, le gouvernement décide de présenter une requête en révision judiciaire. Depuis, il y a eu une campagne électorale, qui a été l’occasion d’entendre plusieurs points de vue sur la situation d’ANB. En entremêlant plusieurs enjeux, comme la pénurie de la main-d’œuvre et le temps de réponse pour obtenir des services ambulanciers dans certaines régions rurales, et en créant un sentiment de crise et d’urgence, le gouvernement minoritaire formé par Blaine Higgs à l’issue des élections décide de suivre la sentence arbitrale de McEvoy et d’assouplir les exigences linguistiques, allant ainsi à l’encontre de l’ordonnance rendue par la Cour du Banc de la Reine en 2017.
Cette position est celle du syndicat depuis la création d’ANB en 2007. Les représentants de la section locale (#4848) du Syndicat canadien de la fonction publique, qui défend les employés paramédicaux d’ANB, font aussi appel au « bon sens » pour régler cette situation. « It’s really bogging the system down. We need a common sense approach. »8 Selon eux, les exigences linguistiques iraient jusqu’à faire fuir les meilleurs professionnels : « … many of the best and brightest young unilingual paramedics on the market have been forced to seek employment elsewhere because they can’t meet the language skill requirements now required for the majority of the jobs being posted »9.
Selon le discours du « bon sens », les droits linguistiques iraient trop loin et seraient injustes pour les employés unilingues anglophones. Au cœur de cette position syndicale se joue la régularisation du statut d’emploi des employés unilingues anglophones à des postes désignés bilingues. Des employés unilingues anglophones occupent les postes désignés bilingues lorsqu’aucun candidat bilingue postule pour l’emploi, mais le poste est affiché de nouveau toutes les 24 semaines. Par conséquent, en raison de l’exigence linguistique, ces ambulanciers n’ont pas de sécurité d’emploi, ni de permanence. En assouplissant les exigences linguistiques, Higgs permet à ces employés d’obtenir de façon permanente des postes désignés bilingues.
Le People’s Alliance of NB et le Parti progressiste-conservateur partagent donc le point de vue du syndicat. Le discours du « bon sens » a ainsi été repris par le premier ministre Blaine Higgs dans son discours du trône où il affirme que « Les gens n’accepteront pas que l’idéologie ou la politique fasse obstacle à des solutions inspirées par le bon sens »10. Selon ce discours, les défis et les difficultés rencontrés par ANB seraient attribuables aux exigences de la LLO.
Il ne s’agit donc pas d’un discours marginal, véhiculé par des groupuscules anglophones récalcitrants aux droits linguistiques. Ce discours a fini par s’imposer dans l’espace public de la province, au point d’être repris par le gouvernement minoritaire.
L’avènement de ce discours et le fait qu’il sert aujourd’hui à justifier une approche politique qui marque un recul eu égard à l’application de la LLO résultent, par ailleurs, d’une mobilisation de groupes anglophones qui déclarent avoir aussi des droits, laissant clairement entendre que ceux-ci seraient oubliés dans la mise en œuvre des droits linguistiques. Le Anglophone Rights Association of New Brunswick s’active depuis plusieurs années à défendre les droits et les intérêts des anglophones de la province. Ces dernières années, l’organisme a mené plusieurs réunions publiques pour discuter de la situation linguistique dans la province qu’il perçoit comme étant à leur désavantage. On se souviendra du panneau publicitaire qui avait été placé bien en évidence à Moncton invitant la population à une réunion d’information et sur lequel on pouvait lire « Anglophones have rights too! »11. Renversant la logique entre les groupes majoritaire et minoritaire, ce groupe de défense des droits des anglophones pose les anglophones dans une situation de victime. Le mépris du groupe majoritaire atteint son comble lorsque celui-ci s’approprie le sentiment d’injustice et les arguments du minoritaire.
Pour le groupe majoritaire, il s’agit certes d’une ruse pour conserver ses privilèges en usant d’une rhétorique qui nie la réalité sociolinguistique du groupe minoritaire. Cependant, même si en cette ère de fake news les faits ont la vie dure, les ressorts véritables de la lutte pour la reconnaissance se situent du côté du groupe minoritaire. C’est ce dernier qui a une longue histoire d’injustices à raconter. Ce sont les membres de ce groupe qui ressentent l’atteinte à leur dignité. C’est le récit de leur histoire et leur discours qui devraient occuper l’espace médiatique.
Le cas d’ABN permet de saisir l’évolution récente du contexte provincial en matière linguistique. L’adoption de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick en 1969 a marqué une avancée pour les francophones du Nouveau-Brunswick, mais sa mise en œuvre, ainsi que celle de la LLO de 2002, a toujours été problématique. Les plaintes qu’a reçues le CLO ne sont que la partie visible de sa difficile mise en œuvre. Sur le terrain de sa mise en œuvre, les dynamiques sociolinguistiques entre la majorité et la minorité continuent d’exercer leurs influences. Chaque jour, dans les services publics, une bataille silencieuse se livre sur le front linguistique. Les acteurs qui cherchent à faire respecter la LLO nagent à contre-courant, à l’encontre de la pression qu’exerce la présence d’une majorité anglophone. Or, dès que cessent les efforts, dès que s’affaiblit l’engagement des élus et des dirigeants dans les institutions, le courant emporte les nageurs. On passe d’une approche vigoureuse et respectueuse de l’égalité linguistique à une forme d’accommodement réservée à la minorité de francophones qui insistent pour recevoir ses services en français. Ceux qui appellent au « bon sens » veulent au fond normaliser une culture de non-respect des droits linguistiques12. Accepter le « bon sens » c’est accepter l’assimilation en recourant à des arguments idéologiques non fondés et en refusant de faire les efforts requis pour respecter les droits linguistiques. La défense du principe de l’égalité linguistique exige de prendre des mesures vigoureuses qui vont à l’encontre de la dynamique linguistique qu’impose le contexte majoritaire.
Cinquante après l’adoption au Nouveau-Brunswick de la LLO, il est toujours aussi nécessaire de rappeler l’importance du principe de l’égalité linguistique dans la province. Certains, comme Bernard Thériault, croient que l’antibilinguisme est le fait d’une minorité d’anglophones. Au lieu de tenter de dialoguer avec ces individus, Thériault nous invite à entrer en dialogue avec la « majorité d’anglophones qui partagent notre vision »13. Cependant, il est possible qu’au sujet des droits linguistiques, la majorité silencieuse anglophone pense tout bas ce que ces militants anglophones disent tout haut, ou, que cet enjeu les indiffère, laissant l’espace public ouvert aux militants anglophones.
Si le dialogue entre la majorité et la minorité demeure essentiel, ne perdons pas de vue qu’en contexte minoritaire, le pouvoir des idées pour faire reconnaître le principe de l’égalité linguistique risque de ne pas suffire14. Une stratégie collective doit être élaborée afin de contrer la montée de l’antibilinguisme, en mobilisant les citoyens et en opposant au discours du « bon sens », un discours qui s’alimente de l’expérience linguistique des Acadiens et des Acadiennes, qui puise dans leur histoire et qui s’inspire d’un idéal de justice.
Mais demandons-nous d’abord si la langue française mobilise autant aujourd’hui qu’il y a 50 ans. Est-ce le début d’un déphasage de plus en plus grand entre les droits linguistiques et la volonté des élus et des institutions publiques à les faire respecter? Assistons-nous à la lente fissuration du régime linguistique actuel? Ou, au contraire, est-ce que les reculs récents stimuleront une mobilisation collective qui exigera un engagement plus ferme des élus et des autorités concernées envers les droits linguistiques? Le 50e anniversaire de la LLO est l’occasion de réfléchir collectivement à ces questions.
La création d’ANB résulte de la fusion en 2007 par le gouvernement libéral de près d’une quarantaine de fournisseurs de services ambulanciers dans la province. La fusion devait permettre d’uniformiser la qualité des services, de mettre à niveau les compétences du personnels et les technologies utilisées, de normaliser les conditions de travail et de réduire le temps de réponse des ambulanciers dans la province1. Comme le mentionnait le ministre de la Santé en 2007, Mike Murphy : « Overall, across the province, we’re going to have quicker response times by ambulances »2. À suivre l’actualité récente sur le sujet, ces objectifs n’ont pas été atteints, plus de dix ans plus tard.
Depuis 2002, la LLO au Nouveau-Brunswick exige que les services gouvernementaux offerts par des tiers (comme ANB) le soient dans la langue officielle choisie par les citoyens3. En 2014, la commissaire aux langues officielles (CLO), après avoir reçu une plainte, publie un rapport d’enquête dans lequel elle émet un constat sévère à l’égard d’ANB : « Malgré les bonnes intentions de l’institution, nos récentes recommandations, les rencontres avec le président-directeur général et d’autres cadres supérieurs d’ANB et les 7 ans d’existence de l’institution, ANB n’arrive toujours pas à respecter ses obligations linguistiques »4. À la suite du rapport d’enquête, ANB adopte un plan stratégique afin de satisfaire aux exigences de la LLO et de répondre aux recommandations de la commissaire. Suivant l’adoption du plan stratégique linguistique à ANB, la réaction du syndicat ne tarde pas : « NB’s new plan to improve the availability of bilingual services across the province is unfair and fails to give some paramedics enough time to complete new language training »5.
En novembre 2017, une ordonnance par consentement signée par la Cour du Banc de la Reine contraint ANB à offrir un service de qualité égale dans les deux langues officielles, de prendre des mesures à cette fin et de rendre compte des progrès annuellement au CLO du Nouveau-Brunswick6. Au printemps 2018, une sentence arbitrale rendue par un arbitre en relation de travail, John P. McEvoy, va à l’encontre de cette ordonnance en jugeant notamment qu’ANB n’a pas à offrir « immédiatement » un service de qualité égale dans les deux langues officielles partout dans la province.
The evidence is that there are areas of the Province where unilingual paramedic teams can serve the public without having bilingual competence because the public served communicate in that same official language7.
Voyant que cela allait à l’encontre de l’ordonnance, le gouvernement décide de présenter une requête en révision judiciaire. Depuis, il y a eu une campagne électorale, qui a été l’occasion d’entendre plusieurs points de vue sur la situation d’ANB. En entremêlant plusieurs enjeux, comme la pénurie de la main-d’œuvre et le temps de réponse pour obtenir des services ambulanciers dans certaines régions rurales, et en créant un sentiment de crise et d’urgence, le gouvernement minoritaire formé par Blaine Higgs à l’issue des élections décide de suivre la sentence arbitrale de McEvoy et d’assouplir les exigences linguistiques, allant ainsi à l’encontre de l’ordonnance rendue par la Cour du Banc de la Reine en 2017.
Cette position est celle du syndicat depuis la création d’ANB en 2007. Les représentants de la section locale (#4848) du Syndicat canadien de la fonction publique, qui défend les employés paramédicaux d’ANB, font aussi appel au « bon sens » pour régler cette situation. « It’s really bogging the system down. We need a common sense approach. »8 Selon eux, les exigences linguistiques iraient jusqu’à faire fuir les meilleurs professionnels : « … many of the best and brightest young unilingual paramedics on the market have been forced to seek employment elsewhere because they can’t meet the language skill requirements now required for the majority of the jobs being posted »9.
Selon le discours du « bon sens », les droits linguistiques iraient trop loin et seraient injustes pour les employés unilingues anglophones. Au cœur de cette position syndicale se joue la régularisation du statut d’emploi des employés unilingues anglophones à des postes désignés bilingues. Des employés unilingues anglophones occupent les postes désignés bilingues lorsqu’aucun candidat bilingue postule pour l’emploi, mais le poste est affiché de nouveau toutes les 24 semaines. Par conséquent, en raison de l’exigence linguistique, ces ambulanciers n’ont pas de sécurité d’emploi, ni de permanence. En assouplissant les exigences linguistiques, Higgs permet à ces employés d’obtenir de façon permanente des postes désignés bilingues.
Le People’s Alliance of NB et le Parti progressiste-conservateur partagent donc le point de vue du syndicat. Le discours du « bon sens » a ainsi été repris par le premier ministre Blaine Higgs dans son discours du trône où il affirme que « Les gens n’accepteront pas que l’idéologie ou la politique fasse obstacle à des solutions inspirées par le bon sens »10. Selon ce discours, les défis et les difficultés rencontrés par ANB seraient attribuables aux exigences de la LLO.
Il ne s’agit donc pas d’un discours marginal, véhiculé par des groupuscules anglophones récalcitrants aux droits linguistiques. Ce discours a fini par s’imposer dans l’espace public de la province, au point d’être repris par le gouvernement minoritaire.
L’avènement de ce discours et le fait qu’il sert aujourd’hui à justifier une approche politique qui marque un recul eu égard à l’application de la LLO résultent, par ailleurs, d’une mobilisation de groupes anglophones qui déclarent avoir aussi des droits, laissant clairement entendre que ceux-ci seraient oubliés dans la mise en œuvre des droits linguistiques. Le Anglophone Rights Association of New Brunswick s’active depuis plusieurs années à défendre les droits et les intérêts des anglophones de la province. Ces dernières années, l’organisme a mené plusieurs réunions publiques pour discuter de la situation linguistique dans la province qu’il perçoit comme étant à leur désavantage. On se souviendra du panneau publicitaire qui avait été placé bien en évidence à Moncton invitant la population à une réunion d’information et sur lequel on pouvait lire « Anglophones have rights too! »11. Renversant la logique entre les groupes majoritaire et minoritaire, ce groupe de défense des droits des anglophones pose les anglophones dans une situation de victime. Le mépris du groupe majoritaire atteint son comble lorsque celui-ci s’approprie le sentiment d’injustice et les arguments du minoritaire.
Pour le groupe majoritaire, il s’agit certes d’une ruse pour conserver ses privilèges en usant d’une rhétorique qui nie la réalité sociolinguistique du groupe minoritaire. Cependant, même si en cette ère de fake news les faits ont la vie dure, les ressorts véritables de la lutte pour la reconnaissance se situent du côté du groupe minoritaire. C’est ce dernier qui a une longue histoire d’injustices à raconter. Ce sont les membres de ce groupe qui ressentent l’atteinte à leur dignité. C’est le récit de leur histoire et leur discours qui devraient occuper l’espace médiatique.
Le cas d’ABN permet de saisir l’évolution récente du contexte provincial en matière linguistique. L’adoption de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick en 1969 a marqué une avancée pour les francophones du Nouveau-Brunswick, mais sa mise en œuvre, ainsi que celle de la LLO de 2002, a toujours été problématique. Les plaintes qu’a reçues le CLO ne sont que la partie visible de sa difficile mise en œuvre. Sur le terrain de sa mise en œuvre, les dynamiques sociolinguistiques entre la majorité et la minorité continuent d’exercer leurs influences. Chaque jour, dans les services publics, une bataille silencieuse se livre sur le front linguistique. Les acteurs qui cherchent à faire respecter la LLO nagent à contre-courant, à l’encontre de la pression qu’exerce la présence d’une majorité anglophone. Or, dès que cessent les efforts, dès que s’affaiblit l’engagement des élus et des dirigeants dans les institutions, le courant emporte les nageurs. On passe d’une approche vigoureuse et respectueuse de l’égalité linguistique à une forme d’accommodement réservée à la minorité de francophones qui insistent pour recevoir ses services en français. Ceux qui appellent au « bon sens » veulent au fond normaliser une culture de non-respect des droits linguistiques12. Accepter le « bon sens » c’est accepter l’assimilation en recourant à des arguments idéologiques non fondés et en refusant de faire les efforts requis pour respecter les droits linguistiques. La défense du principe de l’égalité linguistique exige de prendre des mesures vigoureuses qui vont à l’encontre de la dynamique linguistique qu’impose le contexte majoritaire.
Cinquante après l’adoption au Nouveau-Brunswick de la LLO, il est toujours aussi nécessaire de rappeler l’importance du principe de l’égalité linguistique dans la province. Certains, comme Bernard Thériault, croient que l’antibilinguisme est le fait d’une minorité d’anglophones. Au lieu de tenter de dialoguer avec ces individus, Thériault nous invite à entrer en dialogue avec la « majorité d’anglophones qui partagent notre vision »13. Cependant, il est possible qu’au sujet des droits linguistiques, la majorité silencieuse anglophone pense tout bas ce que ces militants anglophones disent tout haut, ou, que cet enjeu les indiffère, laissant l’espace public ouvert aux militants anglophones.
Si le dialogue entre la majorité et la minorité demeure essentiel, ne perdons pas de vue qu’en contexte minoritaire, le pouvoir des idées pour faire reconnaître le principe de l’égalité linguistique risque de ne pas suffire14. Une stratégie collective doit être élaborée afin de contrer la montée de l’antibilinguisme, en mobilisant les citoyens et en opposant au discours du « bon sens », un discours qui s’alimente de l’expérience linguistique des Acadiens et des Acadiennes, qui puise dans leur histoire et qui s’inspire d’un idéal de justice.
Mais demandons-nous d’abord si la langue française mobilise autant aujourd’hui qu’il y a 50 ans. Est-ce le début d’un déphasage de plus en plus grand entre les droits linguistiques et la volonté des élus et des institutions publiques à les faire respecter? Assistons-nous à la lente fissuration du régime linguistique actuel? Ou, au contraire, est-ce que les reculs récents stimuleront une mobilisation collective qui exigera un engagement plus ferme des élus et des autorités concernées envers les droits linguistiques? Le 50e anniversaire de la LLO est l’occasion de réfléchir collectivement à ces questions.
* Directeur général de l’Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques.
1 « Liberals’ plan will shorten ambulance response times; Health Government to consolidate province’s 54 ambulance contracts », Cumby, Meghan. Telegraph-Journal; Saint John, N.-B., 13 juin 2007: A2.
2 Ibid .
3 Loi sur les langues officielles , LN-B 2002, c O-0.5, art 30. Voir également Michel Doucet, Les droits linguistiques au Nouveau-Brunswick – À la recherche de l’égalité réelle !, Lévis (Qc), Les Éditions de la Francophonie, 2017 aux pp 341-47.
4 Commissaire aux langues officielles du Nouveau-Brunswick, Rapport d’enquête, numéro de dossier : 2013-1992, Ambulance Nouveau-Brunswick (ANB ), 2014 à la p 12.
5 Language plan unfair, unrealistic, paramedics union says, Bowie, Adam. Daily Gleaner, Fredericton, N.-B., 22 Septembre 2014: A.1.
6 « Ambulance NB s’engage à respecter ses obligations en matière de bilinguisme », en ligne : Radio-Canada https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1071051/ambulance-nb-bilinguisme-affaire-sonier-poursuite-ordonnance-consentement-nouveau-brunswick-acadie ; « Langues officielles : un juge somme Ambulance NB de prendre des mesures concrètes », en ligne : Acadie Nouvelle https://www.acadienouvelle.com/actualites/2017/12/04/langues-officielles-juge-somme-ambulance-nb-de-prendre-mesures-concretes/ .
7 Canadian Union of Public Employees, Local 1252 (Local 4848) v Ambulance New Brunswick, 2018 CanLII 34080 au para 111.
8 « Language rules cause issues: union », Bowie, Adam. The Times & Transcript; Moncton, N.-B., 14 oct. 2016: B.1.
9 Ibid .
10 « Discours du trône de 2018, La voie vers un meilleur avenir », en ligne : GNB https://www2.gnb.ca/content/gnb/fr/corporate/promo/discours-du-trone/2018/discours-du-trone-de-2018.html.
11 « Une association pro-anglophone fait sa publicité à Moncton », en ligne : Acadie Nouvelle https://www.acadienouvelle.com/actualites/2016/07/26/association-pro-anglophone-publicite-a-moncton/ , 26 juillet 2016.
12 « Langues officielles, une culture de non-respect dans les hôpitaux anglophones », en ligne : Acadie Nouvelle https://www.acadienouvelle.com/actualites/2018/04/10/langues-officielles-un-culture-de-non-respect-dans-les-hopitaux-anglophones/ .
13 Bernard Thériault, « Pour une province qui nous respecte et accepte nos différences », Acadie Nouvelle, 15 déc. 2018 à la p 8.
14 Éric Forgues, « Le pouvoir des mots face aux mots du pouvoir en Acadie », Directions, Recherche et politique sur les relations raciales au Canada , no 7, 2016, en ligne : https://crrf-fcrr.app.box.com/s/0kiionbvn1b8nr24vb4rqd4v536jh6mg aux pp 83-94.