Quelques points à retenir de l’affaire Sonier c. Ambulance Nouveau-Brunswick Inc.
Les faits et le déroulement de l’affaire
Les faits de l’affaire Sonier sont simples. Le 19 février 2013, lorsque son frère a subi une crise sévère d’hypoglycémie, Murielle Sonier a téléphoné le service d’urgence 911 pour recevoir de l’aide médicale. À l’arrivée des secours, ni l’un ni l’autre des deux employés d’Ambulance Nouveau-Brunswick ne parle français, alors que le patient, Danny, et sa sœur sont francophones1. Lorsqu’ils ont demandé de recevoir le service en français, les employés d’Ambulance Nouveau-Brunswick auraient répondu : « We don’t speak French »2.
Les faits de l’affaire Sonier sont simples. Le 19 février 2013, lorsque son frère a subi une crise sévère d’hypoglycémie, Murielle Sonier a téléphoné le service d’urgence 911 pour recevoir de l’aide médicale. À l’arrivée des secours, ni l’un ni l’autre des deux employés d’Ambulance Nouveau-Brunswick ne parle français, alors que le patient, Danny, et sa sœur sont francophones1. Lorsqu’ils ont demandé de recevoir le service en français, les employés d’Ambulance Nouveau-Brunswick auraient répondu : « We don’t speak French »2.
Considérant l’unilinguisme des travailleurs paramédicaux, il y a évidemment eu manquement à l’obligation d’offrir les services dans l’une ou l’autre langues officielles et manquement, il va sans dire, de servir la personne dans la langue officielle de son choix, comme le prévoit les articles 27, 28 et 28.1 de la Loi sur les langues officielles3 du Nouveau-Brunswick, lesquels sont ainsi rédigés :
27 Le public a le droit de communiquer avec toute institution et d’en recevoir les services dans la langue officielle de son choix. | 27 Members of the public have the right to communicate with any institution and to receive its services in the official language of their choice. |
28 Il incombe aux institutions de veiller à ce que le public puisse communiquer avec elles et en recevoir les services dans la langue officielle de son choix. | 28 An institution shall ensure that members of the public are able to communicate with and to receive its services in the official language of their choice. |
28.1 Il incombe aux institutions de veiller à ce que les mesures voulues soient prises pour informer le public que leurs services lui sont offerts dans la langue officielle de son choix. | 28.1 An institution shall ensure that appropriate measures are taken to make it known to members of the public that its services are available in the official language of their choice. |
En plus des violations à la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick, il y a également eu violation des paragraphes 16(2) et 20 (2) de la Charte canadienne des droits et libertés4 :
16 (2) Le français et l’anglais sont les langues officielles du Nouveau-Brunswick; ils ont un statut et des droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions de la Législature et du gouvernement du Nouveau-Brunswick. | 16 (2) English and French are the official languages of New Brunswick and have equality of status and equal rights and privileges as to their use in all institutions of the legislature and government of New Brunswick. |
20 (2) Le public a, au Nouveau-Brunswick, droit à l’emploi du français ou de l’anglais pour communiquer avec tout bureau des institutions de la législature ou du gouvernement ou pour en recevoir les services. | 20 (2) Any member of the public in New Brunswick has the right to communicate with, and to receive available services from, any office of an institution of the legislature or government of New Brunswick in English or French. |
Ambulance Nouveau-Brunswick et la Province du Nouveau-Brunswick ont reconnu avoir manqué à leurs obligations d’offre active et à leur obligation de fournir à M. Sonier le service dans la langue officielle de son choix5. Les parties ont entrepris des discussions et des procédures de médiation, lesquelles ont mené à « l’élaboration d’un exposé de cause [auquel ont] dûment consenti […] toutes les parties »6.
L’exposé de cause a pour but de « soumettre à l’opinion de la Cour une ou plusieurs questions de droit » lorsque les parties sont d’accord sur l’énoncé des faits7. En l’espèce, l’exposé de cause contenait plusieurs questions, dont notamment celles au sujet de la mesure réparatoire la plus appropriée, du niveau de bilinguisme nécessaire des ambulanciers pour respecter les obligations linguistiques, de savoir si les obligations linguistiques d’une institution de la Province ont préséance sur les conventions collectives et de l’obligation de prendre des mesures concrètes pour assurer un accès égal à des services de qualité égale.
Afin de procéder par exposé de cause, il faut toutefois que « la cour estime que la solution des questions posées réglera le litige ou facilitera la solution des questions en litige »8. Le juge était cependant d’avis contraire et affirme que « les questions [de droit] soulevées dans l’Exposé de cause dépassent considérablement [le] cadre factuel » de l’action9. Selon lui, le fait que le syndicat ne soit pas parti à l’instance constituait un problème, puisque la procédure, a-t-il dit, vise « un recours pour une partie qui n’est pas partie à la procédure »10.
En appel de la décision, la Cour d’appel a usé du pouvoir discrétionnaire que lui confère la règle 62.03 des Règles de procédure pour refuser l’autorisation d’appel11. Selon le juge Richard :
Étant donné l’état du dossier et le consentement des parties, la solution sur le fond des questions soulevées par les plaidoiries peut être assurée par un procès durant lequel les parties peuvent faire les aveux qui s’imposent afin de simplifier les faits en litige. Selon moi, la façon la moins coûteuse et la plus expéditive est de refuser l’autorisation d’appel afin que les parties puissent procéder ainsi sans encourir les délais afférents à un appel12.
L’ordonnance par consentement
Les demandeurs ont donc entamé de nouvelles procédures et le procès était prévu pour les 22 et 23 novembre 2017, mais, souhaitant régler « à l’amiable et ainsi résoudre toutes questions en litige sans la nécessité d’un procès »13, ils ont demandé à la Cour, le 20 novembre 2017, qu’elle rende une ordonnance par consentement. L’ordonnance prévoit notamment ce qui suit :
1. Les défendeurs mettent en œuvre immédiatement des mesures concrètes pour assurer le respect des obligations prévues à la Charte et dans la LLO et ils rendent compte annuellement, dans le Rapport annuel préparé par ANB et dans une lettre au Commissariat aux langues officielles, des résultats de leurs efforts en ce sens. Ces mesures concrètes comprennent les éléments suivants :
a. Que PNB accorde à ANB les ressources financières nécessaires pour assurer la mise en place d’un réseau ambulancier en mesure de respecter les obligations prévues à la Charte et dans la LLO.
b. Qu’ANB voit à ce que ses politiques et ses procédures assurent le respect des obligations qui découlent de la Charte et de la LLO afin d’assurer que les citoyens des deux communautés linguistiques officielles aient accès à un service ambulancier de qualité égale dans la langue officielle de leur choix, et que ces mesures soient révisées sans délai suivant les termes de la présente ordonnance par consentement.
c. Que PNB et ANB établissent clairement des normes objectives pour déterminer le niveau de compétence linguistique requis à partir duquel un travailleur paramédical sera considéré comme bilingue et que ce niveau s’applique uniformément sur l’ensemble du territoire provincial.
d. Que PNB et ANB déterminent avec précision le nombre d’employés paramédicaux bilingues qui manquent et se dotent d’un échéancier et d’un plan de dotation visant à combler ces besoins dans les plus brefs délais.
e. Qu’ANB incorpore dans les avis de concours de travailleurs praramédicaux les exigences linguistiques requises dans la section des compétences requises.
f. Qu’ANB offre régulièrement à son personnel des séances de formation et de sensibilisation sur les obligations et les droits qui découlent de la Charte et de la LLO.
g. Qu’ANB fasse une évaluation régulière des compétences linguistiques de ses travailleurs paramédicaux qui sont désignés comme étant bilingues ou qui occupent un poste qui requiert des compétences bilingues.
h. Que les défendeurs mettent en place un plan rigoureux de recrutement de travailleurs paramédicaux bilingues.
b. Qu’ANB voit à ce que ses politiques et ses procédures assurent le respect des obligations qui découlent de la Charte et de la LLO afin d’assurer que les citoyens des deux communautés linguistiques officielles aient accès à un service ambulancier de qualité égale dans la langue officielle de leur choix, et que ces mesures soient révisées sans délai suivant les termes de la présente ordonnance par consentement.
c. Que PNB et ANB établissent clairement des normes objectives pour déterminer le niveau de compétence linguistique requis à partir duquel un travailleur paramédical sera considéré comme bilingue et que ce niveau s’applique uniformément sur l’ensemble du territoire provincial.
d. Que PNB et ANB déterminent avec précision le nombre d’employés paramédicaux bilingues qui manquent et se dotent d’un échéancier et d’un plan de dotation visant à combler ces besoins dans les plus brefs délais.
e. Qu’ANB incorpore dans les avis de concours de travailleurs praramédicaux les exigences linguistiques requises dans la section des compétences requises.
f. Qu’ANB offre régulièrement à son personnel des séances de formation et de sensibilisation sur les obligations et les droits qui découlent de la Charte et de la LLO.
g. Qu’ANB fasse une évaluation régulière des compétences linguistiques de ses travailleurs paramédicaux qui sont désignés comme étant bilingues ou qui occupent un poste qui requiert des compétences bilingues.
h. Que les défendeurs mettent en place un plan rigoureux de recrutement de travailleurs paramédicaux bilingues.
Enfin, notons que l’ordonnance prévoit le désistement des demandeurs à l’action intentée contre ANB et la Province du Nouveau-Brunswick, et que pareille désistement empêche également le dépôt de toute autre action supplémentaire à l’égard des circonstances mentionnées dans l’avis de poursuite.
Les points à retenir de l’affaire Sonier
En obtenant une ordonnance par consentement, les demandeurs augmentent de beaucoup la probabilité qu’ANB améliore réellement la situation linguistique dans la prestation de leurs services. Considérant qu’il s’agissait d’un dossier d’intérêt public, les demandeurs ont réglé avec la collaboration de la Cour au lieu de régler hors-cour. Les termes du règlement deviennent ainsi publics et l’institution sera redevable dans la mesure où elle ne respecte pas l’ordonnance de la Cour.
Dans la mesure où l’institution ne respecte pas les termes de l’ordonnance, au lieu d’attendre qu’une nouvelle violation des droits linguistiques se produise et qu’on doive entamer de nouvelles procédures judiciaires, M. Sonier pourra demander à la Cour qu’elle émette une ordonnance pour outrage au tribunal14. Le cas échéant, la Cour pourra « rendre une ordonnance contre tout dirigeant, tout administrateur, tout employé ou tout représentant qui a ordonné ou autorisé l’outrage ou qui y a consenti ou participé » ou toute autre ordonnance qu’elle juge nécessaire en vertu de son pouvoir inhérent15.
Enfin, notons que, grâce à cette ordonnance, les institutions qui ont des obligations linguistiques en vertu de la Charte et de la LLO ont maintenant un plan détaillé de ce qu’ils doivent faire afin de respecter les obligations qu’ils leurs incombent en vertu des articles 27, 28 et 28.1 de la LLO et du paragraphe 20(2) de la Charte16. Certes, elles ont toujours eu ces obligations et les mesures concrètes que prévoit l’ordonnance ont toujours été implicites au droit d’obtenir un service dans la langue officielle de son choix, l’affaire Sonier vient toutefois de les rendre explicite.
Conclusion
Il aura fallu une violation des droits linguistiques et plus de 3 ans et demi pour que les demandeurs obtiennent une ordonnance de la Cour, qui prévoit des mesures concrètes de mise en œuvre du droit de recevoir un service dans la langue officielle de son choix, dans une affaire dans laquelle l’institution et la Province ont admis la violation des droits linguistiques. Pareille procédure représente beaucoup d’effort et d’énergie pour amener les institutions provinciales à faire ce qu’elles sont déjà censées faire afin de respecter les lois de la province. Qui plus est, malgré le consensus des parties, la procédure judiciaire elle-même a connu des embuches et a retardé le tout d’au moins une année. Cela dit, cette affaire a été mené à son terme et constitue un exemple à suivre en matière de droits linguistiques. Aucun détail n’a été négligé afin que l’institution respecte une fois pour toute le droit des citoyens de recevoir un service dans la langue officielle de son choix!
1 2016 NBBR 218 (CanLII) au para 6 [Sonier].
2 Acadie Nouvelle, « Langues officielles : un juge somme Ambulance NB de prendre des mesures concrètes », en ligne : <https://www.acadienouvelle.com/actualites/2017/12/04/langues-officielles-juge-somme-ambulance-nb-de-prendre-mesures-concretes/>.
3 LN-B 2002, c O-0.5.
4 Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11.
5 Sonier , supra note 1 au para 7.
6 Ibid au para 12.
7 Nouveau-Brunswick, Règles de procédure, r 24.01-02 [ Règles de procédure].
8 Ibid , r. 24.01(2).
9 Sonier 2016 , supra note 1 au para 24.
10 Ibid au para 40.
11 Sonier c Ambulance New Brunswick Inc. , [2017] AN-B no 26 (QL) (CA) au para 5.
12 Ibid .
13 Ordonnance par consentement, no M/C/0153/14, rendu le 20 novembre 2017.
14 Règles de procédure , supra note 7, r 76.
15 Ibid , r 76.07 et 76.10. Il convient de noter que la règle 76.07 porte sur les corporations reconnues coupables d’outrage.
16 Bien que l’exposé de cause prévoit que la Province du Nouveau-Brunswick et Ambulance Nouveau-Brunswick reconnaissait les violations des articles 27, 28 et 28.1 de la LLO et les paragraphes 16(2) et 20(2) de la Charte, l’ordonnance ne mentionne que ces dispositions.