Une constitution entièrement bilingue pour le Canada en 2017?
Le 6 novembre dernier s’est tenu à l’Université d’Ottawa, à l’instigation de la Chaire d’étude sur la francophonie et les politiques publiques ainsi que la Faculté de droit, une journée d’études portant sur la version française des lois constitutionnelles du Canada. En effet, plusieurs des lois constitutionnelles du pays n’ont de valeur officielle qu’en anglais; la version en français n’est qu’une codification administrative offerte pour la commodité des lecteurs et lectrices et ne peut servir à l’interprétation du texte. Il s’agit d’une anomalie dans un pays officiellement bilingue et la journée avait pour objectif de réfléchir aux moyens de corriger cette situation et aux enjeux que soulevait une telle démarche.
Cette situation d’unilinguisme d’une partie de la constitution du Canada découle du fait que la loi fondatrice de la fédération canadienne, la Loi constitutionnelle de 18671, est une loi britannique adoptée en anglais seulement par le Parlement de Westminster. À l’époque, Londres accordait l’autonomie juridique à ses anciennes colonies en légiférant à leur endroit. Le Parlement britannique légiférait (et légifère toujours) en anglais seulement. Le document juridique qui instaure le Canada, ainsi que les modifications y apportées jusqu’à 1982, ont donc été adoptés en anglais. Toutefois, la Loi constitutionnelle de 1982 a été promulguée dans les deux langues, chacune des versions faisant égale autorité conformément à la première phrase de son article 56 : « Les versions française et anglaise des parties de la Constitution du Canada adoptées dans ces deux langues ont également force de loi ». Depuis lors, les modifications constitutionnelles sont toujours promulguées dans les deux langues et chaque version a également force de loi. Qu’en est-il cependant des parties des textes constitutionnels adoptés uniquement en anglais ? Le constituant de 1982 a stipulé à son article 55 :
Cette situation d’unilinguisme d’une partie de la constitution du Canada découle du fait que la loi fondatrice de la fédération canadienne, la Loi constitutionnelle de 18671, est une loi britannique adoptée en anglais seulement par le Parlement de Westminster. À l’époque, Londres accordait l’autonomie juridique à ses anciennes colonies en légiférant à leur endroit. Le Parlement britannique légiférait (et légifère toujours) en anglais seulement. Le document juridique qui instaure le Canada, ainsi que les modifications y apportées jusqu’à 1982, ont donc été adoptés en anglais. Toutefois, la Loi constitutionnelle de 1982 a été promulguée dans les deux langues, chacune des versions faisant égale autorité conformément à la première phrase de son article 56 : « Les versions française et anglaise des parties de la Constitution du Canada adoptées dans ces deux langues ont également force de loi ». Depuis lors, les modifications constitutionnelles sont toujours promulguées dans les deux langues et chaque version a également force de loi. Qu’en est-il cependant des parties des textes constitutionnels adoptés uniquement en anglais ? Le constituant de 1982 a stipulé à son article 55 :
Le ministre de la Justice du Canada est chargé de rédiger, dans les meilleurs délais, la version française des parties de la Constitution du Canada qui figurent à l’annexe; toute partie suffisamment importante est, dès qu’elle est prête, déposée pour adoption par proclamation du gouverneur général sous le grand sceau du Canada, conformément à la procédure applicable à l’époque à la modification des dispositions constitutionnelles qu’elle contient.
Le ministre a créé un comité pour livrer une version en français des textes pertinents. Le comité a rendu son rapport définitif en décembre 1990. On peut le retrouver au lien suivant : http://www.justice.gc.ca/fra/pr-rp/sjc-csj/constitution/loireg-lawreg/index.html .
Depuis lors, aucune résolution constitutionnelle n’a toutefois été déposée pour adopter formellement soit le rapport, soit une autre version en français des lois constitutionnelles unilingues anglaises.
Dans l’affaire Bertrand c. Québec (Procureur général)2, le juge Pidgeon a eu l’occasion de commenter le non respect de l’article 55. L’avocat Guy Bertrand recherchait une déclaration judiciaire voulant qu’une démarche unilatérale d’indépendance du gouvernement du Québec de l’époque3 fût inconstitutionnelle et le Procureur général du Québec lui avait opposé une requête en irrecevabilité dans laquelle il plaidait notamment que l’absence de respect de l’article 55 conduisait à une déclaration de nullité des lois constitutionnelles de 1867 à 1982. La Cour a estimé qu’il fallait un procès en bonne et due forme pour permettre au Procureur général du Canada de soumettre de la preuve au sujet des démarches entreprises pour faire respecter l’article 55 et, dans l’éventualité d’un constat d’inconstitutionnalité, pour offrir une réparation convenable. Ces questions ne pouvaient pas se régler au stade de l’irrecevabilité. La légalité d’une sécession unilatérale a été tranchée dans le Renvoi relatif à la sécession du Québec4, mais celle du non-respect de l’intégralité de l’article 55 est restée lettre morte.
L’article 55 touche les 30 textes mentionnés à l’annexe de la Loi constitutionnelle de 1982. Parmi ceux-ci, huit ont été adoptés par simple loi fédérale et existent donc simultanément en français et en anglais, en raison de l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 18675,ce qui signifierait que la version française a la même valeur que la version anglaise. Cela laisse néanmoins plusieurs textes sans version française officielle, notamment le Statut de Westminster,une loi britannique adoptée en 19316 et qui visait nommément le Canada, ainsi que des décrets annexant des territoires au Canada et cinq modifications relatives au partage des compétences entre le Parlement fédéral et les législatures provinciales.
Parmi toutes les questions discutées au colloque, celles-ci apparaissent particulièrement intéressantes :
-La version française des lois constitutionnelles appliquera la règle du « droit constant ». Ce ne sera donc pas une modification de la substance, mais uniquement de la forme. Il a d’ailleurs été proposé d’inclure à l’article 56 de la Loi constitutionnelle de 1872 une disposition le stipulant expressément.
-Il a été suggéré que la version française ne restera qu’une traduction et qu’en cas de conflit, les juges retourneront spontanément à la version anglaise ; la seule manière de véritablement corriger le problème serait de ré-adopter simultanément les deux versions.
-Des représentants du comité de rédaction ont relaté leur travail et ont candidement admis qu’il demeurait perfectible ; certains choix qu’ils ont proposé seraient aujourd’hui différents, comme l’idée de remplacer l’expression bien consacrée et entrée dans l’usage, ainsi que dans la jurisprudence de la Cour suprême du Canada, du pouvoir fédéral de légiférer pour la « Paix, l’ordre et le bon gouvernement du Canada » par celle-ci : « la paix et l’ordre du Canada, ainsi que son bon gouvernement ». Cette nouvelle formulation a fait l’objet de maintes critiques.
-L’un des panélistes, Me Hugo Choquette, présentement doctorant en droit à l’Université Queens en Ontario, a livré un plaidoyer passionné et convainquant pour l’adoption de la version française de l’Acte de l’Amérique du nord Britannique proposée en 1867 par Me Eugène-Philippe Dorion, chef du bureau de traduction de la Chambre d’assemblée du Canada-Uni jusqu’à 1867. Selon Me Choquette, cette traduction est la plus légitime : elle est de la même époque que la rédaction de la loi, elle respecte le style de rédaction de la common law qui est le style de rédaction de la loi originale et Dorion est resté fidèle à ce style parce qu’il savait justement que ce n’était pas du droit civil, ayant sous les yeux le nouveau Code civil du Bas-Canada adopté en 18657. On lui a rétorqué que celle du comité disposait de la légitimité de l’article 55 de la Loi constitutionnelle de 1982.
-Dans un élan de sincérité, l’honorable Serge Joyal, sénateur, qui était ministre du gouvernement fédéral en 1980-1982 et président du comité mixte spécial du Sénat et de la Chambre des communes ayant examiné le texte proposé de la modification constitutionnelle, a déclaré que le comité ainsi que le gouvernement fédéral avaient peut-être péché par excès d’optimisme à l’époque. L’article 55 n’avait pas été débattu et le gouvernement semblait croire que la traduction serait assez facile. Il eut peut-être mieux fallu, a-t-il admis, adopter une version existante même si incomplète ou imparfaite, plutôt que de remettre la démarche à plus tard. Il a aussi révélé que l’une des craintes du gouvernement était que le Parlement anglais refuserait d’adopter d’emblée la version française de la Loi constitutionnelle de 1982 : c’est la raison principale pour laquelle elle a été placée comme une annexe au Canada Act8, ainsi le Parlement britannique légiférait en anglais mais intégrait à sa loi une annexe officiellement bilingue.
-Me Mary Dawson, présentement Commissaire aux conflits d’intérêt et à l’éthique du Canada, était, au moment des faits, directrice de la section de droit public du gouvernement. Elle a conservé le dossier de la version en français de la Constitution lorsqu’elle a changé de division au sein du ministère et elle a relaté comment elle avait écrit à ses homologues provinciaux pour recueillir leurs réactions au rapport du comité en 1991 ; mais c’était l’époque de l’échec de l’Accord constitutionnel du Lac Meech (qui a été abandonné en mai 1990), de la préparation d’un nouvel accord dit l’accord de Charlottetown (rejeté par référendum en 1992), de sorte que le dossier de la version française de la Constitution a perdu de son lustre et de son importance.
-S’agissant de la formule de modification applicable, la plupart des commentateurs pensaient que pour les aspects les plus substantifs, l’unanimité était requise en vertu de l’article 41 de la Loi constitutionnelle de 1982. On a aussi fait état des obstacles supplémentaires que représentent les lois exigeant soit des consentements régionaux9 ou des référendums constitutionnels obligatoires 10 ; si la loi fédérale des vétos régionaux et la loi référendaire de Colombie-Britannique peuvent être contournées en ce qu’elles interdisent au gouvernement seulement (et non aux députés d’arrière-banc) de déposer des résolutions de modification constitutionnelle, celle de l’Alberta est plus contraignante parce qu’elle oblige le Lieutenant-gouverneur à tenir un référendum avant que l’assemblée législative puisse voter en faveur d’une résolution de modification constitutionnelle.
-J’ai exprimé l’opinion que toutes ces lois représentaient des modifications indirectes de la méthode prescrite par la partie V de laLoi constitutionnelle de 1982,en me basant sur le Renvoi sur le Sénat11 et le Renvoi sur la Cour suprême du Canada : en effet, on touche ici à l’ « architecture constitutionnelle » et la seule manière de modifier la formule de modification est de procéder par l’unanimité de toutes les provinces ainsi que du Sénat et de la Chambre des Communes. Par conséquent, je suis d’opinion que ces lois sont d’emblée inconstitutionnelles et n’ont pas à être respectées. Les gouvernements concernés voudront néanmoins les suivre ne serait-ce que pour des raisons politiques. J’étais aussi d’avis que n’eut été de l’article 55, une simple loi fédérale aurait suffi à proclamer la version française, puisque celle-ci n’est pas une « modification » de la Constitution mais seulement une adaptation formelle en français : à ce titre, la partie V de la Loi constitutionnelle de 1982 ne saurait s’y appliquer puisque cette dernière ne touche que des « modifications » à la Constitution. Mais l’article 55 crée une obligation à laquelle il faut donner suite, même si elle semble ne donner lieu à aucune sanction en cas de non-respect. Enfin, je crois que tous les textes de l’annexe qui peuvent être proclamés soit sous l’autorité du Sénat et de la Chambre des communes, soit du consentement de la ou des provinces concernées, devraient l’être immédiatement. Seule la Loi constitutionnelle de 1867 et, peut-être, le Statut de Westminster, nécessiteraient une modification unanime. Me Mark Power a lui aussi estimé qu’il serait préférable de procéder immédiatement à l’adoption des versions françaises qui ne requièrent pas un consentement unanime, ni substantiel.
-Finalement, le professeur Benoît Pelletier, ancien ministre québécois des affaires intergouvernementales (2003-2008), a mis en garde l’auditoire contre un excès d’enthousiasme. Un échec du projet, a-t-il dit, pourrait être perçu comme un rejet du Québec ; mais le succès du projet pourrait aussi, selon lui, donner l’idée que le dossier constitutionnel concernant le Québec est désormais réglé, rendant toute demande ultérieure irrecevable dans le reste du Canada. Dans les deux cas, le risque d’une remontée du sentiment souverainiste serait bien réel et la possibilité d’un troisième référendum québécois sur la question deviendrait plus réaliste.
Malgré le fait que le paragraphe 16(1) de la Charte canadienne des droits et libertés déclare que « le Français et l’Anglais sont les langues officielles du Canada », une bonne partie des lois constitutionnelles du pays n’existe qu’en traduction administrative et officieuse ou en fonction des versions citées dans les décisions de la Cour suprême du Canada qui sont bilingues. Si cette anomalie doit être corrigée, c’est plus vite dit que fait, comme l’a démontré ce séminaire. En attendant, le droit constitutionnel canadien n’est que partiellement bilingue. Le cent-cinquantenaire de la confédération canadienne serait, aux dires des organisatrices et organisateurs, un moment idéal pour la corriger.
1Loi constitutionnelle de 1867 ,30-31 c 3 (R.-U) [Loi constitutionnelle de 1867].
2Bertrand c Procureur général , [1996] RJQ 2393, JQ 2150 (QL) (CS). Un premier jugement avait déjà déclaré que la souveraineté du Québec porterait atteinte aux droits fondamentaux du demandeur : Bertrand c Bégin (1995), RJQ 2500 (CSQ).
3 Rappelons que le second référendum sur l’accession du Québec à la souveraineté a eu lieu le 30 octobre 1995, un an avant la décision, et s’est soldé par un vote négatif à 50,58 %.
4Renvoi relatif à la sécession du Québec ,[1998] 2 RCS 217.
5Loi constitutionnelle de 1867 , supra note 1, art 133 : « Les lois du Parlement du Canada…devront être imprimées et publiées en français et en anglais » (traduction administrative). Dans Blaikie c Procureur général du Québec, [1979] 1 RCS 1016, la Cour suprême du Canada a jugé que pour être publiées dans les deux langues, les lois devaient avoir été adoptées simultanément dans les deux langues. Cette décision a toujours été interprétée comme signifiant que chaque version d’une loi fédérale a une valeur égale à l’autre. C’est d’ailleurs ce que dit maintenant le texte de l’article 18 de la Charte canadienne des droits et libertés tant pour les lois fédérales (paragraphe 1) que néo-brunswickoises (paragraphe 2).
6 Loi de 1931 visant à donner effet à des résolutions adoptées lors des conférences impériales de 1926 et 1930; 22 & 23 George V, c 4 (R-U).
7 « Code civil du Bas-Canada », d'après le rôle amendé déposé dans le bureau du greffier du conseil législatif, tel que prescrit par l'acte 29 Vict., c 41, 1865 . (https://books.google.ca/books?id=hRQ2AAAAIAAJ&pg=PR1&hl=en#v=onepage&q&f=false)
8 An Act to give effect to a request by the Senate and House of Commons of Canada, 1982 c 11 (UK).
9Loi concernant les modifications constitutionnelles ,LC 1996, c 1.
10Constitutional Amendment Approval Act (British Columbia ), RSBC 1996, c 67; Constitutional referendum Act,RSA 2000, c C-25.
11Renvoi relatif à la réforme du Sénat ,[2014] 1 RCS 704; Renvoi relatif à la Loi sur la Cour suprême,art 5 et 6, [2014] 1 RCS 433.